N’étant pas des musiciens formés au conservatoire, les membres du Ghiwane restent à l’image de la grande majorité des jeunes marocains de l’époque pour lesquels l’oreille sert de partition et la place publique de scène. C’est sur le terrain que le groupe puise son inspiration musicale.
Si par le passé les expressions chansonnières régionales étaient réservées aux fêtes de villages ou de quartiers, avec le Ghiwane elles furent, d’une certaine manière, officialisées, fusionnées et modernisées quelque peu. Chaque chanson est une synthèse mêlant naïveté harmonique, complexité poétique et inversement. Y aurait-il là une filiation comme le suggère Daniel Caux, avançant au sujet du groupe que l’apparence volontairement rude (du chant), tend plutôt à tenir l’auditeur éveillé par une âpreté et un dynamisme qui s’enfièvre parfois jusqu’à l’exaspération rappelant, malgré ces différences des structures mélodiques et rythmiques, les formes les plus torrides du jazz et du rock1.
Toutefois, si modernisation il y a, elle n’a pas emprunté l’utilisation d’instruments électriques, boîte à rythmes et cuivres, comme l’a fait le groupe Lemchaheb2 tout particulièrement ; le seul instrument qui ait été électrifié, fut le Hejhouj3 (la basse) afin qu’il ne soit pas couvert par les percussions, comme le faisait remarquer Batma. Les registres musicaux alimentant les compositions du Ghiwane sont principalement l’Aïta, les musiques confrériques, le Melhoun, les musiques berbères du Souss et du Moyen Atlas.
L’Aïta est le chant des paysans arabophones des plaines agricoles du Haouz, de la Chaouia et de la région de Beni Mellal. Le terme Aïta signifie littéralement Appel ou Invocation, utilisant percussions et un instrument à corde, luwtar ou le violon, rarement le luth. Cette musique est exécutée par des hommes. Quant au chant, il est interprété par une femme accompagnée par un chœur de deux ou trois autres femmes. Ce schéma n’est pas systématique, les combinaisons vocales entre hommes et femmes étant variables d’une région à une autre. Ces principaux registres chansonniers sont la nostalgie, les amours contrariées et la critique sociale. Signalons que c’est l’un des rares chants qui a eu recours parfois au travestissement des hommes en femmes. En ce qui concerne le Ghiwane, plusieurs de ses chansons -.chems ‘ttalaa4, el hessada5, ‘ssayf el-bettar6, el-mjezra7, Mahmouma8, Ana ma3yit9, essalama10- s’inspirent de cette musique et traitent de nostalgie, de désillusion, d’errance et de critique sociale ou politique. Les chansons de ce registre s’articulent comme suit : le prélude musical est exécuté par Allal (Snitra), référence faite au violon utilisé dans le chant Aïta. Quant au prélude vocal, c’est souvent Batma qui l’interprète grâce aux variations vocales allant des tonalités plaintives aux tonalités graves, et inversement, ou du mode mineur au mode majeur.
1Le Monde, 21-22 novembre 1976.
2 Ce groupe fondé en 1973 à Casablanca est souvent qualifié par les connaisseurs de groupe Rock.
3 Autrement dénommé Guenbri ou Ssentir selon sa dimension et qui fait office de Basse à deux cordes et demi.
4Aurore.
5Les moissonneurs.
6L’épée fatale.
7La tuerie.
8Vain monde.
9Je ne suis point las.
10La clémence.