Kamal Hachkar Réalisateur

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« Un film est le prolongement de mes questionnements existentiels »

Après Tinghir Jérusalem, Kamal Hachkar replonge dans la quête de l’identité mais à travers la musique cette fois, avec « Dans tes yeux je vois mon pays ». Un documentaire de toute beauté qui a fait son avant- première à Marrakech en décembre et qui est sélectionné à Toronto. Rencontre avec un cinéaste humaniste.

 

e-taqafa : La question de la quête de l'identité est omniprésente dans votre travail. D'où vient cette envie, ce besoin, ou cette obsession ?

KA : Il est évident que pour moi, un film est le prolongement de mes questionnements existentiels, philosophiques ou métaphysiques. Il est vrai que la plupart de mes films interrogent l’identité. Dès le plus jeune âge, j’ai été interpellé par cela. Né au Maroc, grandi en France et de fait franco- marocain. Très vite, j’ai compris qu’il n’y avait aucune évidence à être ceci ou cela. C’est toujours à partir d’une certaine extériorité que je me suis interrogé sur ce que j’étais ou ce que je pouvais représenter pour l’Autre. Je n’ai pas de rapport nationaliste à mes identités au contraire elles sont toujours en rapport avec l’Autre. Je suis français et marocain mais avec une forme de distance. Je me sens totalement les deux et ce depuis ma tendre enfance. Mon grand-père me demandait à chaque fois qu’on arrivait le premier jour à Tinghir, tu préfères la France ou le Maroc ?  Je ne pouvais pas répondre car pour moi cela ne se posait pas dans ces termes là. Mon sentiment d’étrangeté me vient donc de là, c’est pour cela que je me suis intéressé aux Marocains juifs. Ils me semblaient aussi comme une étrangeté.

 

e-taqafa : Dans votre dernière œuvre, l'angle est la musique. Comment est né ce projet ?

KA : La musique est un personnage à part entière, elle n’est nullement là pour illustrer quelque chose. On comprend que la musique est un territoire en partage entre juifs et musulmans. Quasiment dans tous mes films, la musique est omniprésente. Elle abolit les frontières, elle permet les rencontres et les émotions. Ce projet est né suite à ma rencontre avec deux artistes Neta Elkayam et Amit Haï Cohen qui réinvestissent leur identité marocaine par la musique en reprenant toutes ces chansons qui font partie de notre patrimoine commun. Et, aujourd’hui, ils réinventent même à partir de cette tradition, quelque chose de nouveau. Très vite, cela m’a intéressé de les suivre dans leur quête artistique et identitaire. Je savais qu’après Tinghir Jérusalem, je n’avais pas fini d’explorer ce thème. Le premier était une manière de renouer le lien à travers le passé et les souvenirs. Celui là symbolise surtout l’idée qu’il n’y a pas de fatalité à la grande Histoire qui a séparé nos parents. Nous pouvons récréer quelque chose de nouveau ensemble pour le présent et le futur.

 

e-taqafa :Qu'est-ce qui fait que vous jetiez votre dévolu sur Neta ElKayam ?

KA : Déjà, nous avons quelque chose en commun de très fort, le père de Neta est né à Tinghir. C’est la rencontre de la nouvelle génération. Je ne crois pas au hasard. Nous devions nous rencontrer. J’ai été leur premier fan, ils ont pu faire leur premier concert au Maroc et notamment à Essaouira au festival des Andalousies Atlantiques. J’avais envie de partager avec les Marocains, cette incroyable découverte. Je ne me suis pas trompé et très vite, ils les ont adoptés.

Neta et Amit ne sont pas seulement des artistes talentueux, ce sont aussi des corps politiques en puissance. Ils parlent la darija, ils ont appris l’arabe palestinien. Ils sont intéressants. C’est très politique au sens noble du terme.  

 

e-taqafa :Quelles ont été les principales difficultés rencontrées?

KH : Comme tout projet artistique, il faut trouver des fonds. J’ai eu de la chance car on m’a soutenu et fait confiance. La Fondation Majorelle, la fondation Hassan II pour les MRE, la Centrale Automobile Chérifienne (Victor et Julia Elbaz), la Fondation Aïcha (Mardoché Devico), Steve Ohana, Art Concept, la fondation Tolédano et 2M ont permis à ce projet de devenir réalité. Je les remercie du fond du cœur de leur confiance.  Il faut croire en soi malgré les moments de doute propre à la création. Il faudrait aussi simplifier les demandes d’autorisation de tournage, cela reste encore beaucoup trop administratif, et on perd beaucoup de temps.

 

e-taqafa :Vous avez mis sept ans à créer ce film. Vous avez besoin de temps pour créer ?

KH : Je suis assez lent car j’ai besoin de faire mûrir le projet. Mais en même temps, j’ai aussi fait d’autres films. Tassanou Tayrinou sur l’amour à travers les voix des femmes amazighes, un court métrage sur le groupe pop libanais Mashrou’Leila et un autre pour la COP 22. Tout cela prend du temps. Je suis assez perfectionniste. Ces 7 ans ont été nécessaires pour avoir le film que j’ai maintenant.

 

e-taqafa :Qu'est-ce ce documentaire vous a appris sur vous même ?

KH : Il m’a appris que j’étais capable de produire une œuvre artistique, pas seulement de le réaliser mais de le mener jusqu’au bout. C’est énorme déjà. C’est le premier film que je produis avec ma société de production. J’en suis fier. Cela nous apprend des choses aussi sur nous, on mûri avec nos œuvres. On s’améliore aussi sur le plan professionnel. On apprend toujours au final.

 

e-taqafa : A quel point le résultat final était différent du scénario de base ? Le film a-t -il évolué, changé pendant le tournage ?

KH : Vous savez entre l’idée dans la tête, le film qu’on écrit, le film qu’on prépare, celui qu’on tourne et celui qu’on monte, il est évident que cela évolue. Mais, la trame du départ est là, souvent nous avons des intuitions qui se révèlent justes. La force du documentaire c’est ce réel qui parfois peut nous échapper et qu’on n’avait pas prévu.

 

e-taqafa : Avez-vous des envies de fiction ou est- ce -que le documentaire sera encore votre moyen d'expression ?

KH : Je profite de cette pause, de ce confinement pour écrire un projet de court métrage de fiction. Ce sera un Opéra amazigh chanté et dansé autour du culte du Dieu de la pluie que les amazighs vénéraient. Encore une fois, une manière de rappeler ce que nous avons été. Cela m’amuse beaucoup d’écrire et de me documenter sur ces rituels. Il y aura tout un travail sur le vêtement, les coiffures féminines et la bijouterie. Je suis en train d’éplucher de vieilles photographies des années 30. J’ai de très beaux livres là dessus. Je travaillerais avec un styliste et un chorégraphe. Cela n’a jamais été fait et rien que pour cela c’est un très beau challenge et c’est terriblement excitant.