«Nous ne pouvons pas retourner à nos vies d’avant comme si de rien n’était !»
Ne plus se disperser, profiter du confinement pour faire un retour sur soi et pour penser plus à l'autre est la façon de voir les choses de l'actrice marocaine : Sonia Okacha. Celle qui enchaîne les plateaux de tournage et dont le planning est surchargé profite de cette situation inédite pour faire le point. Découverte ou redécouverte.
e-taqafa :En tant qu’actrice, serait-ce le moment de tout oublier ou de travailler plus en attendant que cela passe ?
Sonia Okacha :Un peu des deux je crois. C’est le moment de profiter de mes filles au maximum et de passer des moments de qualité avec elles. Faire des choses qu’on n’avait pas forcément le temps de faire ensemble, s’instruire différemment, jouer…C’est aussi pour moi l’opportunité de travailler sur des projets qui me tiennent à cœur. C’est surtout le moment de se poser les bonnes questions sur justement cette notion de temps et à quoi on la consacre. Revenir à l’essentiel
e-taqafa : Quels sont les livres que vous reliriez avec plaisir et pourquoi ?
Sonai Okacha : Je relirais avec plaisir certains classiques, romans ou pièces de théâtre, comme Nana de Zola, Les Misérables de Victor Hugo… et en réalité toutes les pièces de théâtre que j’ai dans ma bibliothèque (Molière, Marivaux, Feydeau, Ionesco, Ipsen…) à commencer par une des premières pièces qu'il m’ait été donné de jouer : «Fever» de Noël Coward que je n’ai pas relue depuis des années. Ce serait l’occasion de se remettre ces œuvres plus fraîchement en mémoire et à vrai dire on ne s’en lasse pas. Bien qu’ancrées dans leurs époques, ces œuvres font toujours écho à quelque chose d’actuel. On redécouvre à chaque fois leur caractère unique, intemporel, universel.
e-taqafa : Quelle musique vous ferait oublier l’isolement ?
Sonia Okacha : Je réécoute beaucoup d’anciens morceaux : Portishead, les Stones, Pink Floyd, Woodkid, Red Hot, LSD, Angus et Julia Stone, Dre, Snoop, Bob, Gladiators, Jimmy Cliff, Brel, Gainsbourg, Lili boniche, Asmahan, Jihane Bougrine…Et chaque jour un morceau de musique classique (Bach, Vivaldi, Schubert, Brahms, Chopin…).
e-taqafa :L’artiste ou les artistes auxquels vous vous identifiez en ce moment ?
Sonia Okacha : La seule artiste qui me vient en tête serait Vivian Maier, photographe de rue dans les années 50 à New York et à Chicago et dont on n’a découvert les photos qu’après sa mort en 2009. Cette femme qui était avant tout nourrice a laissé en héritage un nombre impressionnant de négatifs et de diapos. Pendant toutes ces années et dans le plus grand secret, elle a photographié les rues et les gens qui y vivaient, les marginaux, les « laissés pour compte» ainsi que des autoportraits. En cette période un peu trouble, j’y vois un parallèle intéressant.
e-taqafa : Les films qui vous feraient voyager…?
Sonia Okacha : « Carnet de voyage » de Walter Salles avec Gael Garcia Bernal parce que ça se passe en Amérique latine, que le périple commence sur une vieille moto et qu’au-delà de l’histoire du Che, il s’agit d’un voyage et d’un cheminement personnel. «La plage» de Danny Boyle parce que les paysages sont juste paradisiaques. «Eat, pray, love» de Ryan Murphy parce que cela pourrait être une bonne devise de confinement.
e-taqafa : Les séries à regarder en ce moment ?
Sonia Okacha : C’est peut-être l’occasion de revoir toutes les saisons de la série «Friends» ! Comme ça se passe entre deux appartements, ce serait un peu comme s’ils vivaient à la maison et qu’on rigolait avec eux ! Sinon ma dernière révélation est la série «Euphoria». Au-delà du sujet qui est très dur, attention ! Cette série questionne sur les nouveaux codes et repères de la jeunesse en proie à la drogue, aux réseaux sociaux et leur rapport à l’image, à l’argent…le tout filmé de manière très poétique.
e-taqafa : Les inspirations du moment ?
Sonia Okacha : Mes filles…C’est pour elles que j’essaye de faire en sorte que ce confinement soit le moins ennuyeux possible, voire même ludique ! Je les regarde attentivement et elles m’inspirent l’envie de faire plein de choses… mais la situation actuelle aussi. C’est une période de questionnement et j’ai aussi la sensation qu’il n’y a plus de temps à perdre (d’autant que le temps, on nous l’impose !) pour écrire, réaliser les projets qu’on remettait au lendemain.
e-taqafa :Qu’est-ce que cela pourrait vous apprendre sur l’artiste que vous êtes ?
Sonia Okacha : Une espèce d’urgence de faire. Tout ce qu’on pouvait tenir pour acquis a volé en éclat et nous le vivons de «l’intérieur»…Nous en sommes les témoins et nous n’avons jamais autant eu les moyens de communiquer à travers le monde, il faut que quelque chose ressorte de cette situation…Il ne suffit plus aujourd’hui d’avoir des positions, il faut concrètement agir. Ce confinement est paradoxalement «une bulle de respiration» où on pourrait prendre un nouveau souffle, un nouvel élan pour penser la vie autrement. Ça réveille en moi de nouvelles envies, en plus de l’écriture, dessiner, peindre, filmer… Cette situation sans précédent pourrait être vue comme l’occasion pour chacun de nous de puiser dans ce qu’il y a de plus profond en nous.
e-taqafa : À quel point l’isolement bénéficie à la créativité ?
Sonia Okacha : L’isolement permet d’éviter de se disperser. Cette pandémie a mis un frein net à cette espèce de course en avant dans laquelle on vit tous. Encore une fois, paradoxalement, ce confinement nous donne à chacun un luxe précieux qu’on avait presque oublié : le temps. À nous d’en faire bon usage et d’en profiter pour s’élever, spirituellement, humainement.
e-taqafa :Quels enseignements devons-nous tirer de cette période exceptionnelle ?
Sonia Okacha : Je suis persuadée que le monde va sortir bouleversé de cette situation et que nous ne mesurons pas encore les effets qu’aura cette crise. En même temps, j’espère que ça amènera une vraie prise de conscience collective ! Nous ne pouvons pas retourner à nos vies d’avant comme si de rien n’était!