Pas moins de deux ou trois guides touristiques sont consacrés par mois à la ville de Marrakech. Cela traduit une demande et une mobilité humaine et géographique de cette ville. En revanche, les travaux historiques, sociologiques et anthropologiques se font rares. Parmi ceux qui restent des références indépassables on peut citer le travail de Claude Michel, Marrakech d’un siècle à l’autre. A travers la collection de cartes postales du photographe-éditeur Ernest Désiré Michel( 1881-1956) et à travers les photographies des mêmes lieux par son petit-fils Claude Michel, ( Maisonneuve et larose/Malika Editions, Paris/Casablanca, 2003). Celui d’Elsa Nagel, c’était hier à Marrakech, la croisée des chemins, Casablanca, 2014. Quentin Wilbaux, la Médina de Marrakech. Formation des espaces urbains d’une ancienne capitale du Maroc, l’Harmattan, Paris, 2001. Mohamed Sebti, Youssef Courbage, Patrick Festy, Anne-Claire Kursac-Souali, Gens de Marrakech. Géographie de la ville rouge, éditions de l’INED, Paris, 2009. Le livre de Michel Peraldi, Marrakech, ou le souk des possibles. Du moment colonial à l’ère néolibérale, vient enrichir cette bibliographie.
Sociologue et anthropologue, Michel Peraldi a vécu pendant une douzaine d’années à Marrakech. L’auteur date la naissance de la ville moderne avec l’assassinat du docteur Emile Mauchamp. Ce dernier qui se considérait comme le 1erexpat Français, était mal aimé par les politiques Français haï par la population marocaine. Une intrigue de Mokaddem finit par avoir raison de lui. Prétextant de ce meurtre Hubert Lyautey engage ses troupes en direction du Maroc le 29 mars 1907, dix jours après la mort du docteur. La ville avait déjà 1000 ans d’âge. En 1912, le sultan signe l’acte du protectorat de la France sur le Maroc. A la place de la politique arrogante prônée par le docteur Mauchamp, Lyautey propose une politique coloniale soft empreinte de romantisme. Lorsque les Français débarquent à Marrakech en 1910, la ville n’est plus ce qu’elle était et le commerce transsaharien est peu florissant. Toutefois une économie souterraine était à l’œuvre grâce aux Foundouqs et à la prostitution. Les européens, notamment les touristes, allaient donner une nouvelle impulsion économique à la ville. Bien des décennies après, ce flux n’a pas tari.
Aujourd’hui Marrakech au même titre que Los Angeles est « une marchandise ». « Lorsque c’est la ville qu’on vend, c’est à dire des visites et des séjours, elle est censée rassembler des images et des ambiances, un décor, l’Orient tel que l’Europe en rêve et le fantasme depuis maintenant plusieurs siècles ». Pour Michel Peraldi le tourisme est la forge autour de laquelle s’est formée une métropole, comme les abattoirs ont été au XIXe siècle le moteur de l’expansion urbaine de Chicago. L’auteur s’est intéressé à la mobilité des « Européens Marrakchis », ce qui a motivé leur venue, leur installation dans la cité ocre. A travers deux cent cinquante entretiens, il a pu dégager le constat suivant : « les Européens viennent chercher des affaires, du plaisir ou une nouvelle vie » dans une ville devenue un label.
Michel Peraldi, Marrakech, ou le souk des possibles. Du moment colonial à l’ère néolibérale, éditions la Découverte. 256 pages.