Sur les créations du styliste Karim Adduchi
C’est d’abord dans l’accent poétique des titres qu’il donne à ses créations que s’exprime la passion que le styliste Karim Adduchi voue à la femme : « She knows why the bird in cage sings » (2015), « She has 99 names » (2017). L’œuvre est en effet d’une puissance poétique rare, menant dans une démarche scrupuleuse une esthétique originale qui loge la mémoire des racines dans le nerf du fashion contemporain.
L’artiste puise son matériau dans les tapis et tissus amazighs, des fibres et des laines naturelles tressées à la main, transformés en robes, pantalons, chemises et tuniques, articulés dans des coupes aussi ingénieuses que sensationnelles. Cet emprunt aux origines est un franc hommage rendu par le natif d’Imzouren à la femme amazighe du nord du Maroc. Les mannequins font défiler des habits d’une rare sensualité où l’artiste fait des femmes de son enfance les héroïnes d’un monde resplendissant de beauté et d’émotion, transposées dans une ambiance qui fait vibrer leur fragilité et leur audace, traduit leur endurance comme leur « indépendance vis-à-vis de la figure du mâle », confie le styliste. De toute évidence, l’admiration pour le courage de ces femmes se mue en divinisation comme le suggère le chiffre dans le titre de la deuxième création, « She has 99 names », montrée avec succès lors de novembre dernier à Amsterdam.
Karim Adduchi se défend d’être un artiste engagé mais sa dernière création, printemps-été 2018, s’investit d’une dimension sociopolitique certaine. En sollicitant la collaboration d’artisans marocains, russes et érythréens et de réfugiés syriens venus de la ville d’Alep, l’artiste entend indexer le drame social des migrants et des laissés-pour-compte, évoluant dans une civilisation coercitive où le rêve d’une vie nouvelle est confronté à un lancinant sentiment de dépaysement. De ce travail collectif émerge une étonnante combinaison de savoir-faire issus d’aires géographiques, déployée, lors du défilé d’Amsterdam, au rythme de la musique arabe traditionnelle servie par la voix de la chanteuse Karima El Filali et le violon de l’artiste Abderrahim Semlali. Exploité à des fins esthétiques, cet intérêt pour le malaise des réfugiés et des migrants est également l’expression de la propre situation de l’artiste qui, dès son enfance, quitte le Maroc pour Barcelone puis Amsterdam. « Mon objectif, déclare le styliste, est d’interagir avec des histoires auxquelles je peux m’identifier ». Toutes ses œuvres transpirent la nostalgie de la terre natale et le désir de combler la faille du déracinement par le triomphe d’une identité plurielle par le biais de l’art.
Né en 1988, le styliste est récemment diplômé de la prestigieuse Gerrit Rietveld Academy d’Amsterdam. Avec ses deux créations vivement saluées autant par le public que par les spécialistes, il représente un symbole d’intégration réussie et prodigieuse au sein d’une société occidentale où, en matière de design de mode, la concurrence est intense. Profondément nourri de son passé, son projet est de « faire revivre l'artisanat local et le transformer en un look contemporain », porter les arts amazighs à leur plus haut degré d’universalité à travers des réalisations très novatrices où les femmes occidentales trouvent de nouvelles possibilités d’élégance et d’épanouissement. L’art de Karim Adduchi s’avère une savante fusion entre intimité et altérité. Son attachement lyrique aux femmes ayant marqué son imaginaire d’enfant est conjugué à une adhésion aux problèmes de ses semblables qui peinent à exister et à qui il offre une occasion d’affirmer leurs aspirations. Pour ses prochaines créations, l’artiste compte encore travailler avec des artisans et des artistes de plusieurs provenances. Sa jeune expérience est déjà une parfaite incarnation de cette jonction entre effort esthétique et rôle social de la création artistique, entre invention personnelle et contribution aux soucis qui minent le monde. « Mon ambition, affirme le styliste, est de créer une communauté et de l’espoir ».
Youssef Wahboun