Construite entre 1918 et 1955, la cité est un exemple unique de reconstitution de médina dont la réussite fut telle que beaucoup sont persuadés de son antiquité.
Dès 1916, Henri Prost et son équipe envisage la création d’une « nouvelle ville indigène » à même d’accueillir les nouveaux immigrants venus de l’intérieur du pays, attirés par l’extraordinaire essor économique de Casablanca, et que l’ancienne médina, trop engorgée, n’était plus en mesure d’absorber. Démarrée en 1918 et terminée en 1956, date de l’inauguration de la Mahkama du Pacha(1), la cité, étalée sur une quinzaine d’hectares le long de la route de Médiouna(2), est construite au fur et à mesure des commandes du maître d’ouvrage, l’institution des Habous(3).
Réalisée par les architectes Auguste Cadet et Edmond Brion(4), d’après l’esquisse d’un premier plan-masse dû à Albert Laprade(5), cette nouvelle médina, accolée au palais du sultan, sera occupée par une population d’artisans traditionnels, de fonctionnaires du Makhzen(6) et de riches négociants, la plupart d’origine fassie.
DE l’ANDAlOU MÂTINÉ DE NÉO-GOTHIQUE
Les deux monuments-joyaux de la cité, la Mahkama et la Mosquée Sidi Mohammed Ben Youssef, sont dues au seul crayon de Cadet. Inspirée de la Qaraouiyine, la mosquée, inaugurée en 1936, est un pur chef-d’œuvre de justesse dans les proportions, de science et de délicatesse dans l’ornement. Elaborée avec autant de savoir, mais dispensée du devoir d’orthodoxie, inhérent à tout édifice à caractère religieux, la Mahkama relève, elle, d’une « rêverie » andalouse mâtinée d’un zeste de néo-gothique.
Vue d'une ruelle du quartier des Habous. L’alternance des encorbellements, arches, portiques et autres éléments décoratifs, évitent tout sentiment de monotonie.
Ne nous arrêtons cependant pas au seul spectaculaire : le tracé des rues, leur cadence, l’alternance des encorbellements, arches, portiques et autres éléments décoratifs, évitant tout sentiment de monotonie, relèvent de la performance. S’appuyant sur leurs études et relevés des médinas de Rabat, Salé, Fès et Meknès, les deux architectes ont réussi à recréer une cité, certes moderne par l’ordonnancement, la circulation et l’hygiène publique, mais dont nombre de Casablancais sont persuadés, aujourd’hui encore, qu’elle est authentique, tant les vocabulaires architecturaux et urbanistiques utilisés le sont. Il faut dire que la quasi-totalité du chantier a été réalisée par les meilleurs maâllems du pays, au grand dam des entrepreneurs européens exclus de ce vaste marché. Un soin particulier a été apporté aux équipements publics : kissarias, fontaines – et même toilettes publiques – revêtues de zellij, arcades et portes en pierre travaillée, hammam, etc.
Bien que non inscrit à l’inventaire national des sites et monuments historiques, le quartier des habous est resté singulièrement préservé. Une situation due, très certainement, à sa proximité avec le palais royal.
ADAM AYADI
1. La Mahkama, ex-Tribunal du Pacha, est aujourd’hui le siège du Conseil régional de Casablanca.
2. La route de Médiouna, aujourd’hui boulevard Mohammed-VI, est l’axe principal reliant le sud du Maroc à Casablanca.
3. Les Habous ou Awqaf, institution relevant du droit musulman, chargée de gérer les biens légués par les croyants à la communauté. Un service aujourd’hui relevant du ministère des Affaires religieuses.
4. Auguste Cadet (1881-1956) et Edmond Brion (1885-1973) ont cosignés un nombre impressionnant de bâtiments et d’ensembles, dans le style dit néo-marocain, parmi lesquels, la plupart des agences de Bank Al-Maghrib à travers le royaume.
5. Albert Laprade (1883-1978), ce proche d’Henri Prost, est l’auteur du siège de la Résidence à Rabat, mais surtout du parc de la Ligue arabe (ex-Lyautey), principal poumon vert de Casablanca.
6. Makhzen : terme polysémique désignant, ici, l’administration traditionnelle attachée au Palais, par opposition avec l’administration moderne alors aux mains du Protectorat.
Source : Casamémoire le Mag