« J’aime bien penser à une couleur pour chaque personnage »
Caméléon, au cinéma comme au théâtre, il s’est fait connaitre sur les planches après avoir marqué le Conservatoir de Rouen. Celui qui joue Peer Gynt sous le regard bienveillant de David Bobée ou qui a eu la chance d’être dans l’aventure d’Elephant Man, est en train de devenir une valeur sûre de la comédie franco marocaine. Rencontre.
E-Taqafa : Comment est née l'envie de devenir comédien ? Radouan Leflahi : Depuis que mon jeune âge, j’ai toujours été attiré par le jeu d’acteur. Je me souviens que plus jeune, à la fin d’un film, j’aimais rejouer un des rôles ; essayer de refaire ce que j'ai vu, entendu ou ressenti. Pendant des années j’ai gardé cette envie en moi. Évidemment, je ne savais pas par où commencer, ce qu’il fallait faire, où aller, mais je m’imaginais acteur. Je souris à chaque fois que j’y pense mais je suis profondément convaincu que ce sont deux professeurs qui m’ont amené à me positionner et à verbaliser ce désir. La première m’a parlé d'atelier de théâtre au collège et la seconde, lors d’une conversation dans les couloirs du lycée, m’a invité à devenir ce que je voulais être et non ce que l’on attend de moi. C’est à ma dernière année de collège que j’en ai parlé pour la première fois.
E-Taqafa : Vous avez marqué les esprits avec le rôle de "Peer Gynt", comment avez-vous appréhendé ce rôle ? Radouan Leflahi : Peer Gynt est l’un des rôles les plus imposants du répertoire théâtral classique. Difficile de ne pas se sentir petit face à ce personnage, à un tel parcours d’acteur. La vérité c’est que je ne m’en sentais absolument pas capable et puis, finalement, quand la proposition est là devant nous et attend une réponse, on ne peut pas dire non. En tant qu’acteur c’est un formidable défi. Et puis je fonctionne aussi au challenge : plus tu me diras que c’est impossible, que je n’y arriverais pas, plus je voudrais te prouver le contraire. C’est un rôle qui demande un tel investissement physique et émotionnel. Je n’avais donc pas dix mille possibilités, je devais entièrement m’y plonger. David Bobée, le metteur en scène de ce spectacle et avec qui je travaille depuis dix ans, répète souvent que ce qui l’intéresse chez les artistes c’est justement ce qu’ils sont et représentent. Partant de ce postulat il ne me restait plus qu’à m’appuyer sur mon histoire, mon corps, mon identité, pour raconter Peer Gynt.
E-Taqafa : On dit de vous que vous pouvez tout jouer. Est-ce vrai ? Est-ce qu'un comédien peut tout jouer ? Radouan Leflahi : Je ne sais pas qui le dit mais je le, la ou les en remercie (rires). J’aimerais être capable de tout jouer mais non je ne le suis pas et heureusement. Ce serait ennuyeux sinon. Mais elle est là la joie d’un acteur, je pense. Comment avec mon bagage, mes capacités, je peux m’approcher le plus possible de la justesse nécessaire pour tel ou tel rôle ? Ce qui est certain c’est qu’il s’agit de travailler, de beaucoup travailler, de réinventer le plus possible, de repenser constamment les situations pour trouver l’endroit de justesse encore une fois.
E-Taqafa : Vous avez joué dans Elephant Man aussi, le rôle de Snork l'homme de maintenance. Comment avez-vous préparé ce rôle ? Radouan Leflahi : Avec l’expérience de Peer Gynt, c’était intéressant pour moi de jouer cette figure plus secondaire. Snork c’est la petite frappe que l’on connait tous, capable du meilleur comme du pire. La misère et son besoin de survivre l’amène à commettre un acte horrible. Je n’ai pas de préparation spécifique selon les rôles, du moins ce n’est pas arbitraire, mais j’ai un objectif précis. Pour Snork il s’agissait de le défendre sans aucun jugement de ma part, de le faire briller là où il est le plus sombre, pour que la violence qu’il entraîne, avec ses agissements, amène le spectateur à la question suivante : « si j’avais été à sa place, qu’aurais-je fais ? ».
E-Taqafa : Avez-vous un rituel de préparation aux rôles ? Ou chaque personnage est différent ? Radouan Leflahi : J’aime bien penser à une couleur pour chaque personnage ce qui aura une incidence sur le costume. Le costume est une partie importante pour moi, je ne peux pas ne pas le choisir, ne pas le ressentir, avoir mon mot à dire dessus. Ça fait partie intégrante de la création d’un personnage. Pour Jeppo dans « Lucrèce Borgia » c’était des tons violets, pour Peer Gynt la couleur verte, et pour Snork c’était le noir. Après, il y a le choix de la musique ou de la chanson du personnage que j’écoute secrètement avant chaque représentation. C’est la dernière chose que je fais en loge avant d’aller en coulisses ; comme un moment en suspension, dans ma bulle, pour me recentrer. Ce sont des petits rituels qui sont venus au fur et à mesure des créations.
E-Taqafa : Quels sont vos projets ? Radouan Leflahi : Je vais intervenir à l'École nationale de théâtre de Saint-Etienne pour donner un stage d’un mois à la nouvelle promotion, je suis sur la post-production de mon moyen métrage (qui ne porte pas encore de nom) et je pars au Maroc pour la préparation du documentaire que j’aimerais réaliser en 2021. Il y a aussi ces spectacles dans lesquels je joue (Peer Gynt, Itinéraires, …) qui restent en attente pour reprendre et d’autres qui se dessinent officieusement au vu de la situation sanitaire.