Hmoudane fait, en écrivant, un acte de rébellion. À travers les mots et les couleurs, il est à la recherche de l’homme premier. Cette exposition se veut un dialogue entre l’œuvre picturale et la poésie.
RENCONTRE
e-taqafa : Vous abolissez les frontières entre la prose et la poésie, pourquoi ce choix ?
Mohamed Hmoudane : Je pense que les frontières sont poreuses, même quand il s’agit de frontières politiques jonchées de sentinelles.
Le propre de l’Homme, c’est qu’il ne reconnaît pas les frontières, quand bien même devrait-il s’y plier, et s’en accommoder un moment.
J’entends très bien que des théoriciens, des critiques, établissent des frontières « nettes et sans bavure » entre les genres. Mais, c’est leur affaire, pas la mienne ! La poésie, le roman, et toutes ces choses de l’esprit ont leurs flics qui peuvent vous verbaliser dès lors qu’ils estiment que vous avez enfreint les codes, les normes établis à leur guise… Qu’ils le fassent, personnellement je m’en moque royalement ! Pour moi, seuls la parole, le verbe comptent, qu’importe le moule dans lequel ils se coulent…
e-taqafa : Vous pratiquez une écriture « sans retenue », est-ce important pour vous ?
Mohamed Hmoudane : Heureusement que je pratique, comme vous dîtes si bien, une « écriture sans retenue » ! Pourquoi devrais-je me « gêner » et me retenir ? Serais-je, à mes propres yeux déjà, un écrivain digne de ce nom si je m’entravais ? Puis, pourquoi, quand on écrit, devrait-on s’accommoder des attentes et des opinions des uns et des autres ?
e-taqafa : Qu’est-ce que vous revendiquez ?
Mohamed Hmoudane : La folie et l’éternité ! Rien que ça !
e-taqafa : Comment l’art pictural devient un prolongement de la poésie ?
Mohamed Hmoudane : La peinture ne saurait être, pour moi, un simple appendice de la poésie, qu’il faut traiter ou, le cas échéant, ablater carrément. Elle est la poésie même ; elles constituent un même corps qui se manifeste, à chaque fois, autrement…
e-taqafa : Hmoudane le poète est-il différent de Hmoudane le peintre ?
Mohamed Hmoudane : Non, absolument pas ! Je suis Un et Indivisible. Je cherche tout simplement à révéler à moi-même, de différentes manières, ce qui fait mon identité d’être humain, mon « je », ce lieu d’affluences multiples, toujours en devenir…
e-taqafa : Les couleurs ternes des tableaux suggèrent une sérénité, ce qui diffère de la poésie fulgurante, est-ce une évolution ?
Mohamed Hmoudane : Suis-je plus serein quand je peins que quand j’écris ? Je dois déjà, pour pouvoir répondre à cette question, interroger la condition humaine elle-même. C’est-à-dire la précarité de l’« être-là », et le sens qu’un type comme moi donnerait à sa présence dans le monde qui n’est, à y regarder de plus près, que la somme d’absences accumulées au fil du temps.
e-taqafa : Vous vous sentez plus libre par le biais des mots ou des couleurs ?
Mohamed Hmoudane : Certes, je suis né nu et libre, et je mourrai peut-être ainsi, mais j’ai cessé de l’être, c’est-à-dire nu et libre, dès lors que je suis devenu un corps social, politique, célébré et exalté, mais dont la destinée allait être déterminée par un tas de facteurs. Je m’efforce en écrivant comme en peignant de retrouver ce moment « mythique » de nudité et de liberté totales…
e-taqafa : Qu’est-ce qui vous permet de créer le lien entre un tableau et un poème précis ?
Mohamed Hmoudane : Le lien est déjà là, je ne fais que le révéler. Ce n’est ni mystique, ni métaphysique ce que je vous raconte : j’ai bien les pieds dans la glaise, et les mains dans le cambouis, je travaille comme un forgeron travaillerait la matière, sans qu’il ait une idée préconçue de ce qui va advenir de son effort… Il suffit d’un geste sur la toile, aussi furtif soit-il, pour que le poème, idée en gestation quelque part, prenne forme, et vice-versa, le lien qui était jusqu’alors abstrait se concrétise au fur et à mesure de l’élaboration…
e-taqafa : Pourquoi ce retour au village natal, à travers la série « Maâzize » ?
Mohamed Hmoudane : J’essayais d’arabiser le magni-fique poème de Césaire, Cahier d’un retour au pays natal quand, par un concours de circonstances, je me suis retrouvé dans mon village natal. Le paysage me ramenait sans cesse, malgré quelques parcelles de verdure, à la couleur ocre de la couverture du Cahier, et à l’atmosphère apocalyptique qui prévalait dans le texte ! Puis à cette mémorable tempête de sable, rouge, brunâtre et jaunâtre à laquelle j’assistais quand j’étais enfant, debout sur la terrasse de la demeure familiale, avec ma grande soeur. Les Antilles et Maâzize n’ont bien sûr rien de commun, à part qu’ils sont deux territoires « frêles », « dynamités » par la misère… Allez ! Circulez ! Il n’y a rien à voir ! Il n’empêche que, lorsque je suis rentré en France, j’avais toujours les images du village plein les yeux et, dans les narines, comme une odeur de poudre à canon, et il fallait que je déverse tout ça un soir d’hiver sur du carton, le premier support qui était à portée de main…
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Mohamed Hmoudane : Un énième moment où je me révélerai peut-être à moi-même à travers le regard porté par autrui sur les sillons creusés par le temps sur ma chair, auxquels ces tableaux donnent, sans doute, du relief….