Né au Maroc, Ahmed Hamid Bouziane réside en Italie depuis vingt-six ans. Artiste peintre et sculpteur, il a réussi son intégration sans rompre avec les liens qui l’attachent à sa terre natale.
En dépit d’une apparence sereine, sa création est une catharsis où la souffrance, les frustrations et le mal-être lié à son émigration sont des thèmes récurrents. Pour Bouziane, il incombe à l’artiste issu de l’émigration de communiquer pour véhiculer une image positive de sa culture d’origine afin d’affronter le racisme et le regard accusateur de l’autre. Dialoguer est fondamental pour Bouziane. Ses tableaux sont un échange avec des personnages dont les visages ou les traits se dessinent ou se profilent attribuant aux toiles une allure inquiétante.
e-taqafa : Pourquoi ce titre « Visioni misteriose » ?
Hamid Bouziane : « Visioni misteriose » a un rapport avec l’idée du divin. Je suis lié à l’idée de l’élévation, je me dis toujours que pour arriver en haut il faut se réconcilier avec l’ici-bas, il faut être pur pour arriver au paradis. Je suis toujours à la recherche de cette lumière qui me portera. Mes créations sont un dialogue avec d’autres « personnages ». A bien regarder les détails des tableaux, on y apercevra leurs visages. Parmi ces personnages, l’homme sage qui raconte les histoires des amazighs qui n’est autre que mon grand-père.
e-taqafa : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Hamid Bouziane : Durant les vingt-six ans que j’ai vécu en Italie, la vie n’a pas été facile pour moi. Je devais m’adapter. Je n’avais pas le choix. Heureusement que j’ai grandi dans une famille où les valeurs humaines comptent beaucoup. Mes travaux sont souvent inspirés des déplacements massifs des refugiés qui fuient la guerre, le terrorisme, la pauvreté, la faim… en quête d’une vie meilleure. Je suis confronté également à l’incompréhension de l’Islam par les sociétés occidentales, je ne peux pas rester les bras croisés face à tous ces bouleversements.
e-taqafa : Peut-on dire que vos tableaux sont une représentation des souffrances de l’Autre ?
Hamid Bouziane : La souffrance de l’Autre et de la mienne aussi. Les responsabilités assumées depuis mon jeune âge et que j’assume encore sont devenues une pression ou même une souffrance. Vouloir se libérer de cette pression et ne pas pouvoir le faire est une souffrance. Ma souffrance. Je souffre également de ces scènes de terreur causées par les attentats, par la perte des innocents qui meurent sans raison, d’une mort injustifiée. Les attentats dans le monde entier me touchent énormément. Je me rappelle, en particulier, de la souffrance de la mère de Taïb El Khamal tué dans les attentats de Casablanca.
e-taqafa : Pourquoi cette diversité des matériaux choisis ?
Hamid Bouziane : le choix doit rester ouvert. Je n’ai pas de préférence pour des matériaux spécifiques. Je travaille avec le crayon, le stylo noir, le vinaigre balsamique, la colle, le ciment… Je laisse libre court à mon instinct dans ce choix. Je suis en perpétuelle recherche. En revanche, je vis des périodes où je ne produis pas mais je regroupe des idées, des sensations pour entamer un nouveau travail.
e-taqafa : l’émigration a–t-elle marqué votre travail artistique ?
Hamid Bouziane : Oui, tout à fait. Mon mal-être en tant qu’artiste émigré se manifeste dans mes créations. Mon mal-être est celui de mes semblables en Italie. Nous vivons le racisme et le poids du regard des Italiens envers nos coutumes et nos traditions et surtout envers les questions liées à la vie religieuse et spirituelle. Heureusement, les Italiens n’ont pas tous ce regard.
La peinture ou la sculpture me permettent de m’exprimer à propos de ce qui nous entoure, ce qui se passe en ce moment dans le monde. Je réfléchis en me demandant « où allons-nous ? ».
Le port du voile, la polygamie, les femmes battues sont des sujets soulevées constamment en Italie. Je crois que l’artiste a le devoir de transmettre nos valeurs marocaines et musulmanes aux occidentaux.
e-taqafa : Comment s’est déroulé l’apprentissage avec le Père Romano Volpari ?
Hamid Bouziane : Quand je suis arrivé à Modène en Italie, des amis ont vu mon travail sur vitre et ils m’ont conseillé d’aller voir le Père Romano Volpari pour qu’il m’apprenne la sculpture. J’ai fini par suivre le conseil et je suis devenu son élève. Le Père Volpari est un homme généreux qui m’a appris sa technique. Puis nous avons exposé ensemble plusieurs fois. Par la suite, j’ai encadré plusieurs ateliers pour des enfants et j’ai enseigné la sculpture à des personnes qui avaient des troubles mentaux.
e-taqafa : Quel est votre rapport au Maroc ?
Hamid Bouziane : Le Maroc est mon pays natal que j’aime beaucoup. J’aime mon Roi également. Je rentre au Maroc dès que j’ai l’occasion et je suis toujours impatient de le faire pour retrouver ma famille et mes amis autour d’un thé.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace rivages ?
Hamid Bouziane : Quand j’ai eu l’accord de la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger pour exposer à l’Espace Rivages, ce fût le plus beau jour de ma carrière artistique parce que j’ai toujours voulu exposer au Maroc. J’ai exposé plusieurs fois en Italie et dans le monde mais je n’ai jamais exposé au Maroc, c’était difficile puisque je n’y suis pas tout le temps. L’Espace Rivages est un pont pour passer à l’autre rive et faire connaître mes travaux. J’expose du 19 au 21 mai 2017 à la biennale de Scandiano dans la région Émilie-Romagne en Italie. Je vis les deux expositions comme un accomplissement tant désiré.
Propos recueillis par Fatiha Amellouk