Le Ghiwanisme, Naissance d’un courant musical marocain contemporain

Nass el Ghiwane un groupe précurseur

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Pr. Abdelhai Sadiq
Professeur de l'Enseignement Supérieur, Université Cadi Ayyad Marrakech
Comparatiste-traductologue
Conservateur de la Bibliothèque de la Faculté des Lettres, Marrakech  
 

Contextes de la naissance du groupe Nass el Ghiwane

Les années d’après la moitié du siècle passé sont marquées dès leur commencement par le désenchantement et le sentiment que tout espoir de paix est désormais impossible[1]. Le Maroc, géographiquement et politiquement, a servi de caisse de résonance aux mouvements socioculturels qui agitaient l’Occident et le Proche-Orient. La défaite arabe de 1967, la protestation grandissante aux USA contre la guerre du Vietnam et, tout particulièrement, les événements de Mai 1968 en France, ont interpellé la jeunesse marocaine. Ils la poussèrent à faire de l’engagement politique et artistique  une nécessité pour repenser sa position vis-à-vis du monde Arabe et de l’Occident.

Sur le plan artistique ces événements ont bouleversé les acquis musicaux tant aux Etats-Unis qu’en Europe et dans le monde Arabe. Pour les premiers, on trouve schématiquement le Rock’n’roll qui sera blanc, la Soul, musique des noirs et par la suite le Reggae qui s’imposera comme la musique du tiers monde, déplaçant l’attention vers La Jamaïque, contrée où la créativité est telle que les grands artistes américains et européens s’y intéressent pour des raisons à la fois artistiques et commerciales en collaborant avec des chanteurs autochtones tels P.Tosh, J.Cliff et l’incontournable et charismatique B. Marley.

Se dessinait alors à l’échelle planétaire une géographie chansonnière à tendance protestataire prônant une nouvelle articulation plus active du peace and love, offensive, voire violente sur scène et qui s’est exprimée dans la rue avec de mémorables dérapages haineux.

Pour ce qui est du Maroc plus particulièrement, et de manière générale du Maghreb et du Moyen Orient, parallèlement aux mouvements de protestations politique et sociale qui ont vu le jour, est née une contestation artistique panarabe qui, à notre avis, fut une véritable révolution dont les porteurs sont, entre autres, le tandem égyptien  Ahmed Fouad Najm (1927-2013) et Cheikh Imam (1918-1995) et le libanais Marcel Khalifa (né en 1950).

Le groupe[2] Nass el Ghiwane fut la figure emblématique de ce courant, amorçant ainsi un tournant décisif dans l’histoire artistique marocaine et maghrébine. La jeunesse a immédiatement adhéré à cette forme de chanson qui se démarquait du schéma traditionnel présentant un chanteur-vedette/mutrib soutenu par un chœur et un orchestre. Les médias marocains ont fait en sorte que le chant ghiwanien soit accessible, mais leur adhésion ne fut que de courte durée. Ce type d’expression musicale ne pouvait qu’intriguer, inquiéter et déranger l’ordre établi, moins par ses attaques frontales que par l’hermétisme des propos qui se prêtent aux interprétations que les jeunes pouvaient en faire.


[1] H. Guilleminot & F. Rajon, Le Rock des années 70, éd. Prélude et fugue, Paris, 1997.

[2] Sur cette notion de groupe, Stéphane Davet écrivait : Mieux que l’artiste solo, la notion de groupe incarnait la fracture générationnelle symbolisée par cette musique. Comme si, en bande, la jeunesse pouvait plus efficacement radicaliser et styliser ses envies, sa rébellion. Sorti en 1965, l’hymne My Generation des Who (et son fameux I hope die before I get old, « j’espère mourir avant de vieillir ») n’aurait pas pu sortir de la bouche d’un chanteur solitaire. Le groupe, reproduit souvent le schéma du gang. On s’y construit un rempart, on y prend des forces. Entre rivalités et amitiés viriles, on s’initie à la transgression, on se libère de ses frustrations, quitte à forcer sur la testostérone. Le Monde du 6/7 novembre 2009. 

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