Ecrivaine prolifique et journaliste éclairée, Lamia Berrada-Berca signe un nouveau roman interrogeant les failles de la condition humaine, « Guerres d'une vie ordinaire » (éd. Du Sirocco). L'auteure de « Kant et la petite robe rouge » finaliste du prix des cinq continents de la Francophonie en 2012 et de « Une même nuit nous attend tous», prix de l'ADELF Maghreb-Afrique Méditerranée poursuit sa quête obstinée d'universalité à travers son œuvre, saluée sur la scène littéraire internationale.
e-taqafa : Comment êtes vous-venue à l'écriture ?
Lamia Berrada : Par le désir... On arrive toujours à l'écriture par là. L'écriture projette des désirs, et elle est elle-même motivée par le désir. J'y suis venue très tôt. A 7 ans, j'ai commencé à écrire de manière compulsive sur des feuilles volantes des petits récits et des embryons de poèmes...
L'écriture me confronte sans cesse à la notion de perte : j'écris pour compenser l'effacement d'un texte antérieur, et donner une suite à quelque chose qui fondamentalement n'existe pas... Tout ce que j'écris fait sens, pour moi, parce que cela répond à l'urgence d'un moment.
e-taqafa : C’est un récit que l'on sent écrit dans une fulgurance, à la fois poétique et cru, pétri d'une violence ambiante. Y a-t-il des aspects que vous vous êtes interdite de dire ou au contraire correspond-il à une forme de résilience ou de libération ?
Lamia Berrada : Rien n'est cru ni violent en littérature, seule la réalité l'est. Maintenant, c'est vrai que l'on a tendance à banaliser la violence du réel, et au contraire à sur-interpréter le discours littéraire... Et pourtant, quoi de plus violent que ce que la télévision nous propose, au journal télévisé, au moment du repas familial ? J'ai toujours été très étonnée de la façon dont la littérature pouvait être pour autant, perçue comme plus violente... Il est vrai qu'elle oblige à ce que chaque lecteur doive se représenter mentalement les images induites dans le texte. Ce travail-là oblige le lecteur à collaborer, il implique un engagement d'une toute autre nature. Elle favorise la prise de conscience... Mais comment pourrait-on écrire la violence sans partir de ce que le réel propose ?
La poésie, en ce qui me concerne, est toujours intimement liée à l'écriture du texte. Elle existe dans les images, dans les métaphores dont j'use.
e-taqafa : Parlez-nous de ce titre...
Lamia Berrada : Il s'est imposé à moi, d'emblée. Une métaphore dont je savais qu'elle était à la fois suffisamment compréhensible pour ne pas donner lieu à des contre-sens, et suffisamment vague pour que l'on s'interroge sur le sens que recouvrent ces guerres... En réalité, tout le récit est construit sur la métaphore filée de la guerre : le personnage principal s'arme rapidement pour devenir Veilleur d'une cité abîmée dans l'anarchie d'un vivre-ensemble chaotique, la Vieille devient son Alliée, les menaces extérieures se précisent, comme le fanatisme religieux, et parfois les menaces planent de manière indéfinie, mais l'on sait qu'elles ciblent tous ceux et celles qui ont choisi d'affirmer outrageusement leur liberté d'être et de vivre...
Leur liberté d'aimer... La guerre se passe aussi en soi : c'est le cas des femmes, dans ce récit, Soraya comme Faïza, qui doivent jongler pour trouver un espace de liberté, à elles, entre leurs aspirations personnelles, et les diktats moraux de la société. Les guerres se produisent enfin, pour chaque individu, entre l'espace public, qui n'est pas commun, et l'espace privé, la vie privée de chacun, sur lequel la société prétend avoir droit de regard...
e-taqafa : Vous êtes un auteur très prolixe, quelles sont vos sources d'inspiration ?
Lamia Berrada : Nombreuses. Infimes. Permanentes. Le petit rien, surtout, m'intéresse... Les petites choses de l'intime. Les fonctionnements et dysfonctionnements intérieurs... Au Maroc, les images se déplacent ensuite sur la réalité qui vient, en grandeur nature, impacter des images très fortes en moi, issues de la vie quotidienne... Mais j'ai envie de dire que le texte peut commencer à s'écrire quand un détail un jour vient se greffer en soi, et se cristalliser doucement. C'est à partir de là que quelque part un récit commence, un embryon d'histoire...
e-taqafa : Avez-vous une fascination pour les thématiques liées à l'humain ?
Lamia Berrada : Oui. La littérature est pour moi l'expression irréductible de notre humanité. La force des mots, c'est de résister à tout... Et de pouvoir faire résonner même l'indicible. Quand les prisonniers politiques ou les déportés des camps de concentration vous disent qu'ils ont survécu grâce à la force d'un poème, grâce à la puissance d'un livre, c'est dire à quel point la littérature est à la fois une boussole, un amer, et une lumière au bout de la nuit...
Entre le caractère un brin abstrait de « Une même nuit nous attend tous », et la dimension plus concrète, plus brute de « Guerres d'une vie ordinaire », on retrouve un regard assez parallèle sur la condition humaine, que j'ai cependant coulé dans une écriture très différente. Mais la métaphore du regard demeure toujours fondamentalement inscrite à l'intérieur de mes textes : celle du regard que nous devons poser sur la réalité pour l'affronter en êtres libres et conscients...
Propos recueillis par Fouzia Marouf.