A travers des œuvres semi-figuratives conceptuelles, Said Messari souhaite créer une communication accessible entre l’œuvre et son public. Attaché au langage plastique du papier, il s’est intéressé, tout au long de ses expositions, à sa fragilité, ses espaces, ses métamorphoses, ses textures, son harmonie et sa noblesse.
Son identité artistique se trace à travers plusieurs modes d’expression : gravures, installations, vidéos, collages, calligraphies…
e-taqafa : Que représente le papier pour vous ?
Said Messari : Le papier, c'est la naissance, c'est commencer quelque chose, soit écrire, soit dessiner, c'est le début de l’inattendu, c'est la création en soi, c'est la noblesse du savoir... c'est la mémoire...
e-taqafa : La diversité des techniques vous accorde plus de liberté?
Said Messari : Après avoir terminé mes études universitaires, je me suis inscrit à de nombreux cours, pour acquérir des connaissances supplémentaires, pour découvrir les nouvelles techniques du 21e siècle, notamment celles qui sont liées au développement de la culture techno-informatique. L'artiste d'aujourd'hui est obligé d'aborder les nouvelles techniques pour compléter son langage et son identité artistique. La révolution de l'art moderne depuis Picasso, Matisse, Salvador Dali, en passant par Magritte, nous a libérés de l'académisme en nous offrant de nouvelles tendances où même l'art enfantin ou naïf a été revalorisé, culturellement et artistiquement. L'histoire de l'art projette de nombreux exemples montrant l'importance de la liberté des techniques dans l'art.
e-taqafa : Les têtes, les cœurs, les théières, pourquoi le choix de ces formes ?
Said Messari : J’ai expérimenté diverses tendances et concepts tout au long de ma carrière artistique, j'ai toujours été à la recherche d'un langage qui soit presque le mien ou du moins qui ait une certaine originalité. À partir des icônes que je sélectionne, telles que les têtes profilées ou les objets, comme les théières, les lézards, les robinets, j'entends former un langage plastique semi-figuratif facile, pour approcher et séduire le spectateur et créer une communication entre lui et l'œuvre. Les profils n'ont pas d'identité, ils sont génériques ; la série des théières est un hommage à la communication qui a lieu autour de la cérémonie du thé dans notre culture traditionnelle, c'était l'application WhatsApp par excellence avant l'invasion des écrans de téléphone... En général, ce sont des iconographies avec une certaine ironie.
e-taqafa : Le travail par séries a-t-il un but précis ?
Said Messari : L'art sériel ou art multiple m'a bien servi dans ma carrière artistique, notamment dans l'art de l'impression. J'ai eu beaucoup de chance, car à la fin de ma carrière universitaire, le Salon International de la Gravure ESTAMPA a été créé à Madrid et d’autres ateliers de gravure et art multiple, sérigraphie, lithographie, sculpture et céramique numérotée sont nés… Tout cela a rapproché l'art du public ; ESTAMPA a révolutionné l'acquisition de l'art, a encouragé et a aidé la classe moyenne à s’approcher de l'art.
e-taqafa : Pourquoi privilégiez-vous le travail à la main pour façonner le papier?
Said Messari : Le travail graphique est un art d'atelier, c'est de l’artisanat pur, où la manualité acquiert un rôle principal dans la créativité. La patience et la discipline sont les valeurs de tous les artisans. Pour moi cela m’a permis de découvrir la noblesse du papier. C'est un rituel de métamorphose qui rassemble la transformation et le recyclage dans la créativité où sa fragilité devient une sublime élégance.
e-taqafa : Derrière les compositions visibles de vos créations y a-t-il un message invisible?
Said Messari : Dans les dernières contributions et depuis presque plus d'une décennie maintenant, je me suis penché vers la tendance semi-figurative conceptuelle, de sorte que l'œuvre se rapproche de plus en plus au niveau visuel et thématique. Je voudrais que l'œuvre soit un écran qui puisse rivaliser avec TikTok, YouTube ou la TV... Chaque œuvre est sujette à une interprétation libre.
e-taqafa : Pourquoi l’intégration de fragments de poèmes dans vos créations ?
Said Messari : Pour moi c'est un simple hommage aux écrivains et aux poètes en général, ce sont généralement des fragments d'auteurs qui m'ont fait réagir ou d'amis auteurs que j'ai connus de près. De plus, je trouve que la lettre ou le mot dans notre culture a un très grand poids. Il est plus facile de trouver ou de rechercher la richesse d'un mot que la sémiotique d'une image. Quand je les utilise, parfois ils sont complets et donnent un bon résultat... C'est pourquoi le langage publicitaire et surtout cinématographique, se maintient plus longtemps dans notre mémoire.
e-taqafa : La mémoire est votre thème de prédilection, pourquoi ?
Said Messari : C'est un hommage aux personnes qui ont perdu la mémoire. Dans ma vie, j'ai rencontré de nombreux cas de près, et un jour, en quittant un centre Alzheimer, après avoir visité un être cher, je me suis considéré chanceux ; c'est une situation malheureuse de voir des personnes sans mémoire, une situation triste et cruelle... Ainsi, le cerveau stylisé en forme de cœur dans mon travail a une connotation unique, il faut donner de l'amour et beaucoup d'affection à ces personnes qui se sont retrouvées sans passé et sans avenir…
e-taqafa : Travaillez -vous sur d’autres thèmes ?
Said Messari : Parallèlement, je développe une recherche du « Statique au mobile » sur l'art mudéjar andalou, un hommage à la salle de repos de l'Alhambra, un travail qui associe la plasticité à la technologie, en passant par l'informatique, notamment avec Arduino et le langage de codification Open Source...
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Said Messari : Cette exposition est une belle opportunité pour faire connaître mon travail et mes préoccupations artistiques au public amoureux de l'art et de la culture à Rabat et au Maroc en général. C'est une fenêtre ouverte pour profiter de quelques jours de fête où l'art et la création sont hôtes. Je remercie l'Espace Rivages et la Fondation Hassan II pour cette belle initiative qui a déjà mené une carrière respectable promouvant l'art et la culture, facilitant la mise en relation des artistes marocains résidant dans d'autres pays du monde avec la culture d'origine, échangeant, partageant les connaissances et les sentiments.
Propos recueillis par Fatiha Amellouk pour e-taqafa.ma