L’hospitalité

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Hospitalité

L’hospitalité, (en amazighe tinnubga ; en arabe diafa) est un trait culturel caractéristique des Marocains comme de beaucoup d’autres peuples. Elle est considérée comme un devoir sacré, une valeur morale, un impératif social. Le devoir est d’autant plus fort que l’on ne peut présumer de l’identité de celui qu’on doit accueillir lorsqu’il s’agit d’un inconnu. Un étranger qui demandait l’hospitalité dans un village ou dans un campement de nomades disait qu’il est « un hôte de Dieu », anebgi n Rebbi (am.), dif Allah (ar.) – c’est-à-dire celui que la nuit rattrape chez des gens auprès desquels il n’a pas de connaissance. Il est alors hasardeux de refuser de l’héberger pour la nuit et de le nourrir.

L’hospitalité est exigée de tout un chacun et quiconque s’y dérobe s’expose à l’opprobre de ses semblables. Plus encore, l’hospitalité accordée par une personne pauvre est bien plus appréciée, l’effort qu’elle fournit dépassant les moyens dont elle dispose. En matière d’hospitalité, les gens sont beaucoup plus exigeants à l’égard d’une personne aisée qu’à l’égard d’un pauvre, d’un homme que d’une femme, d’une mariée que d’une veuve et d’un adulte que d’un jeune.

Dans chaque maison, il existe une pièce réservée aux hôtes et aux invités : bit diaf (ar.) ou ahanu n inebgawn (am.). Autrefois, il existait dans beaucoup de ksours une tamesrit ou chambre d’hôtes, généralement située près de l’entrée principale. L’hospitalité était, en effet dans certaines régions, une affaire collective. Soit les habitants du village prenaient en charge, à tour de rôle, l’hôte du jour, soit ils cotisaient pour lui offrir le gîte et le couvert.

Bien plus encore, ce devoir était réglé par le droit puisque des textes juridiques comptaient des articles spécifiquement dédiés à l’hospitalité. Un article du droit des Ayt Ouziem du Haut-Guir stipulait que : « Quiconque refuse de donner l’hospitalité à son hôte : 10 mouzounas [1/4 du dirham du XIXe siècle]. De plus, il sera tenu de l’héberger ». L’article 73 du droit du ksar d’El Gara dans le Tafilalet énonce : « celui qui est désigné par le cheikh pour accorder l’hospitalité à un hôte et qui ne l’honore pas, est passible d’une amende de cinq ouqias [unité monétaire entre la mouzouna et le dirham du XIXe siècle]».

L’hospitalité se matérialise dans de la nourriture. Le chef de l’Etat accueille ses homologues en leur offrant des dattes et du lait selon la coutume du Makhzen. Dans les foyers, on offre du thé et des gâteaux faits maison. On asperge parfois les convives d’eau de rose leur signifiant tout le bonheur que l’on ressent à les avoir chez soi. Autrefois (et même aujourd’hui), la réception peut donner lieu à un sacrifice, l’animal sacrifié étant fonction du rang de l’invité et la fortune de l’invitant (cela peut aller d’un boeuf à un chevreau ou un poulet). Le sacrifice d’un animal est, en effet, la preuve par le sang de la solennité du moment, de la qualité de l’accueil réservé à l’invité. Dans le Haut-Atlas oriental, les abats sont, de suite, découpés selon une méthode et un ordre bien précis et grillés à la braise de bois mort ou de charbon. Le repas proprement dit, déjeuner ou dîner, est fait d’un ragoût ou de couscous à la viande de l’animal sacrifié ou des deux. Depuis qu’on peut acheter de la viande au kilo chez le boucher du village ou du quartier, les manières ont sensiblement changé. Le visiteur lui-même apporte souvent quelque chose à offrir ; cela peut être de la viande ou des friandises pour les enfants. Mais le poids du devoir reste vif : veiller à bien accueillir un hôte sous peine d’être taxé d’inhospitalier.

Enfin, l’hôte accueilli ne peut rester indéfiniment chez ses bienfaiteurs. Un hadith attribué au Prophète fixe la durée d’une hospitalité à trois jours pleins. Il est souvent rappelé par les gens sur un ton taquin. Au-delà, s’il reste, l’hôte devient un membre de la famille comme les autres et les repas redeviennent comme ils étaient avant son arrivée.