Loin d’être une représentation du réel, la photographie pour Ibn El Farouk est une abstraction, un écart poétique entre le réel et sa représentation où la subjectivité du photographe et du destinataire définit l’œuvre.
Photographe chercheur, il met la photographie, cette subtile alchimie, au banc d’essai de sa propre autonomie en créant des passerelles, des correspondances et des résonnances avec d’autres modes de création notamment la peinture.
e-taqafa : « Oxymore suite », quels sont les deux sens contraires de cette exposition ?
Zouhir Ibn El Farouk : Mon travail est animé par une sorte de dynamique des contraires. « Oxymore suite » propose de réfléchir aujourd’hui sur le couple : photographie-abstraction, qui peut tenir lieu, dans un premier temps, de provocation. Une profonde ambivalence traverse toute l’histoire de la photographie : Quand le sens commun voit en elle une opération d’enregistrement de la réalité, « une image du dehors », moi au contraire je l’aperçois comme une manière de projection d’images mentales, mais aussi, la révélation de l’espace du dedans, pour reprendre les mots d’Henri Michaux.
e-taqafa : En quoi consiste votre démarche artistique ?
Zouhir Ibn El Farouk : Je m’intéresse à cet absolu pouvoir qu’a le support photographique d’être un être- plastique au sens de plasticité-être, sensible à toute émanation lumineuse mais être aussi autonome à prendre forme et faire figure, à laisser dire et faire le hasard, bref à croire en la rencontre. Ces procès photographiques déclinent cet esprit de liberté que je cherche. Et grâce auquel la photographie découvre son identité de « Substance attractive » c’est-à-dire « extraite d’une matière ».
e-taqafa : Pourquoi ce penchant pour la photographie expérimentale?
Zouhir Ibn El Farouk : Les enjeux de ma pratique « expérimentale » ont pour champ, la question ontologique qui s’est toujours posée à des moments de profonds bouleversements des pratiques photographiques.
La photographie est une subtile alchimie, un écart poétique entre le réel et sa représentation. En suivant l’idée qu’une photographie peut exister en dehors du sujet, qu’elle peut avoir sa vie propre, l’acte de photographier n’est pas prendre le monde pour objet, mais le faire devenir objet, exhumer son altérité enfouie sous sa prétendue réalité, le faire surgir comme attracteur étrange. Comme le dit Michel POIVERT : « La photographie expérimentale est à la photographie ce que la poésie est au langage : son laboratoire. » La photographie expérimentale ne se définit toutefois pas en s’opposant à la photographie documentaire, elle fonde son originalité en se proposant comme laboratoire historique des dérèglements de la culture visuelle. Elle impose une nouvelle hiérarchie où domine cette fois la subjectivité : celle du regardeur tout autant que celle de l’opérateur.
e-taqafa : Vous avez reçu les Prix: coup de cœur du jury et Prix des artistes en 2017, ceci vous a encouragé à poursuivre vos recherches photographiques ?
Zouhir Ibn El Farouk : Absolument ! Les prix (coup de cœur du jury et prix des artistes) lors de l’Automne Photographique au Champsaur – 5e édition, dont le thème était« Dialogues Photographique avec Francis Ponge », confirment mes propos. Le jury était présidé par Jean-Marie Gleize, l’un des spécialistes les plus reconnus au monde de l’œuvre poétique de Francis Ponge. Pour le prix des artistes, c’est une reconnaissance de mes pairs, c’était le vote des artistes participant à ces rencontres. Ce qui m’a fortement touché, est que des photographes chevronnés et pratiquant une photographie narrative et anecdotique, trouvent un intérêt à ma démarche, problématisant l’idée même de la photographie.
e-taqafa : Vous exposez souvent au Maroc, est –il important pour vous d’y être présent ?
Zouhir Ibn El Farouk : Exposer pour exposer n’est pas l’objectif ; que ça soit au Maroc ou ailleurs, mais plutôt suggérer, donner à voir une matérialité photographique plutôt que le sujet. Je travaille à ma manière, à mon rythme. Aujourd’hui si ce genre de travail existe sur la scène artistique au Maroc, c’est grâce à Hassan Sefrioui le fondateur de la Galerie Shart, qui en 2013, à montrer un grand intérêt à ma démarche. Nous avons travaillé pendant deux ans d’une manière proprement professionnelle pour que le projet Oxymore voie le jour en 2015. D’ailleurs, je lui dois beaucoup pour son soutien matériel et moral en particulier pour ‘’ Oxymore suite’’ présentée à l’Espace Rivages.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Zouhir Ibn El Farouk : Je trouve que l’Espace Rivages porte bien son nom. J’aime cette idée, d’un mouvement, d’un déplacement, d’un passage d’une rive à l’autre. Ma recherche est en résonnance avec toutes ces passes, ces déplacements entre ces deux rives et aussi entre beaucoup d’autres rives. Je suis ainsi de beaucoup de rivages et je travaille sur une œuvre en devenir.
Propos recueillis par Fatiha Amellouk pour e-taqafa.ma