Native du Maroc où elle a grandi, Hind Saïh est une productrice hors-pair qui fait preuve d'un engagement jamais démenti dans la création documentaire. Elle a bâti un vrai édifice à coups de 40 films autour de sujets sociétaux explorant une narration d'un autre genre. Les prestigieux Prix Europa, Golden Chest, Best of Input auréolent ces opus. Présidente du FIDADOC, elle est depuis 2009 aux commandes de la société Bellota Films qui produit des films toujours plus ambitieux. Entretien inspiré.
e-taqafa : Comment êtes-vous venue à la production ?
Hind Saïh : Un peu par hasard, mais d'emblée, j’ai su que c’était pour moi. Un des mes enseignants en 3ème cycle, notamment producteur, m’a en effet, proposé mon premier job. J’ai produit plusieurs films avant d’oser dire que j’étais productrice. Je n’arrivais pas à me défaire du stéréotype du gars plein d’oseille qui vous toise avec son gros cigare à l’autre bout de son bureau !
e-taqafa : Pourquoi avez-vous choisi de défendre la création de film documentaire ?
Hind Saïh : J’ai découvert ce genre lors de mes études cinématographiques. C’est de la réalité, mais on dirait de la fiction : les héros sont extraordinaires comme je les aime et lorsqu’on tire sur quelqu’un il ne se relève pas ! Un documentaire qui nous marque reste présent à nos mémoires plus que n’importe quelle fiction, c’est là, le pouvoir de la réalité.
e-taqafa : Parlez-nous du projet réalisé par le jeune auteur palestinien Amer Shomali que votre maison de production « Bellota Films » a soutenu...
Hind Saïh : « The wanted 18 » a été produit par mon partenaire Dominique Barneaud qui a eu un coup de coeur pour le projet lors d’un forum à Ramallah. C’est un premier film qui a demandé cinq années de travail avant de parvenir à sa réalisation. Nous sommes très fiers du résultat et d’accompagner la jeune création dans cette nécessité d'expression.
e-taqafa : Que vous a inspiré son prix aux 25e Journées Cinématographiques de Carthage ?
Hind Saïh : Il se trouve que j’étais présente à la projection du film à Tunis avec Amer qui avait réussit à passer les frontières, pour une fois. La salle était bondée, les gens ont rit, pleuré et ça s’est terminé sous une horde d’applaudissements. C’était déjà la plus belle des récompenses.
e-taqafa : Vous êtes également Présidente du FIDADOC, qu'est-ce que cela implique ?
Hind Saïh : Le FIDADOC est une manifestation de qualité à soutenir. J’en ai suivi le développement depuis sa création, par feu ma collègue et amie Nezha Drissi. Le festival fait la promotion du genre documentaire en y réunissant chaque année une belle sélection de films internationaux avec un engouement insoupçonné du large public : y compris lors des projections ambulantes qui se tiennent dans les quartiers périphériques d’Agadir. A travers sa ruche (résidence d’écriture) et ses rencontres professionnelles, le FIDADOC soutient depuis sept ans maintenant, de jeunes créateurs marocains dans l’élaboration de leurs projets de films.
e-taqafa : Est-ce important pour vous d'entretenir un lien fort avec la Maroc ?
Hind Saïh : Lien qui n’a jamais été rompu, je suis la seule immigrée de la famille… Mais je mesure en ce moment l’importance pour moi d'y développer des liens professionnels. Le Maroc est un pays d’histoire et de récits. Le documentaire, c’est aussi prendre soin de notre passé, de nos archives et témoigner de notre présent pour les générations à venir. Il a une valeur patrimoniale très forte et un impact national et international non négligeable. Il reflète l’image et le pouls d’une société.
e-taqafa : En soutenant de plus la jeune école de documentaristes ?
Hind Saïh : Les jeunes cinéastes marocains sont pétris d’entrain et d’énergie. Afin de leur permettre de réaliser des films forts qui parlent de nos sociétés en cultivant un point de vue singulier qui s’affranchie de l’abattage médiatique, il faut créer une véritable économie de production. La chaîne de télévision 2M, partenaire officiel du FIDADOC, est pionnière dans le soutien du genre, que ce soit à travers le choix assumé de le diffuser à une heure de grande écoute, à travers la case du dimanche soir intitulée « Des histoires et des hommes » qui en est une belle réussite, ou encore en coproduisant des films nationaux. On voit des producteurs convaincus, se lancer dans la défense d’une création documentaire marocaine. Il s'agit de signaux très positifs, mais il faut une implication plus forte des autres instances, doublée d' une volonté plus affirmée de soutenir ce genre. Il y a indéniablement, un gisement non exploité d’emplois et de création de valeur. La cohérence du modèle documentaire en terme économique, son potentiel d’impact social et le rayonnement international des films, sont une véritable opportunité pour notre pays.
Propos recueillis par Fouzia Marouf.