«Clebs» est le court-métrage de la Canadienne d’origine suisso-marocaine Halima Ouardiri qui choisit de poser sa caméra dans un refuge de chiens errants à Agadir. Un film qui remporte le Prix du meilleur court-métrage de la Berlinale 2020 ainsi que l’Ours de cristal décerné par un jury de jeunes adolescents.
E-taqafa : D'où est née l’idée de faire ce film ?
Halima Ouardiri : Comme je suis constamment habitée par un sentiment de chaos du monde dans lequel on vit, à me demander quel sera notre futur et celui de nos enfants, à être comme beaucoup en mode survie, je pense que quand j’ai vu la photo de ces centaines de chiens que j’aime profondément, collés les uns aux autres, qui attendent d’être adoptés dans le refuge de Michèle, j’ai fait le lien inconsciemment avec les millions de personnes déplacées qui sont traités pire que des chiens dans des camps-prisons à attendre qu’on leur donne le droit à une nouvelle vie, un futur décent. Ensuite, j’ai écouté le pur désir cinématographique qui m’animait et j’ai suivi mon instinct à chaque étape de la création du film. D’ailleurs, j’ai tout de suite eu l’idée du plan d’ouverture.
E-taqafa : Comment est née la rencontre avec Michelle et comment l'avez-vous convaincue ?
Halima Ouardiri : Je connais Michèle (Mouidane comme on l’appelle au Maroc) depuis 10 ans maintenant. Je l’avais rencontrée pendant la préproduction de mon précédent court-métrage Mokhtar (2010) pour lequel j’avais besoin de chats très sociables. Elle m’avait aidée, bien sûr, et on a toujours gardé le contact. J’ai souvent eu besoin de ses conseils pour aider un chien ou un chat en détresse et elle m’a conseillée pour ramener Mimouna, une beldi d’Imsouane que j’ai adoptée, à Montréal. Quand je lui ai parlé de mon projet, elle m’a tout de suite donné son accord. J’aime les Beldis du fond du coeur et elle le sait. Elle m’a fait confiance et je la remercie.
E-taqafa : Que voulez-vous mettre en avant dans ce court métrage ?
Halima Ouardiri : Je voulais laisser les spectateurs ressentir et penser aux parallèles qu’ils voulaient faire. Je voulais donner plusieurs lectures possibles, soulever des questions plutôt que de donner des réponses. Je voulais aussi mettre en avant la beauté des chiens que j’aime tellement, leur multitude et leur férocité dans un lieu confiné. Pendant la préparation du film, je suis tombée sur le dyptique "Fighting Dogs" de Dan Witz, le peintre réaliste de New York. C'était exactement ce que j'avais en tête.
E-taqafa : Qu'avez-vous retenu en accomplissant ce court-métrage ?
Halima Ouardiri : C’est un film instinctif que j’ai fait avec des ami(e)s, en urgence et avec beaucoup de sérénité. Je n’avais pas peur de le découvrir sur place avec la directrice photo, Anna Cooley et aussi bien sûr pendant le montage avec la monteuse Xi Feng qui a structuré le film sur la monotonie d’une journée et son éternel recommencement. Les rapports de force entre animaux dominés et dominants rappellent évidement les rapports inégaux qui régissent le monde des hommes. Cette approche exploratoire du processus de création m’a fait beaucoup de bien, parce que les autres projets demandent que je consacre beaucoup de temps à la recherche et à l’écriture. Avec Clebs, c’était spontané, concret et immédiat.
E-taqafa : Comment avez -vous vécu l’expérience de l’avant première du film ?
Halima Ouardiri : Incroyable. Je continue d’apprendre grâce au dialogue avec le public après les projections du film. Ça fait du bien de partager nos ressentis, nos visions du monde, notre terrible sentiment d’impuissance face aux crises humanitaires majeures, nos peurs sur le futur de la planète. Ensemble, on peut s’aider à avoir moins peur, à espérer. Je suis tellement reconnaissante que le message du film touche et que le public s’implique autant. Quelqu’un a vu un opéra de Brecht par exemple, un autre spectateur y a vu une adaptation de la ferme des animaux de George Orwell ou notre société de consommation incarnée par le Black Friday. Beaucoup se sont identifiés aux comportements des chiens. J’ai hâte d’avoir ces discussions avec le public marocain.