Des fondements musicaux de la chanson de Nass el Ghiwane

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  Aussi, la diversité des expressions musicales qui sert de socle à l’expression du Ghiwane a pour corollaire le choix des instruments : la Snitra renvoie aux instruments à cordes du Melhoun (luth) et de l’Aita (violon). C’est pour cette raison qu’il est fortement présent dans les chansons de cette inspiration, particulièrement dans le prélude. Le hejhouj (basse) renvoi au ‘sentir/ Guenbri. Il n’est donc pas étonnant de constater sa prédominance dès le prélude des chansons d’inspiration confrérique. En ce qui concerne les tbilats, le bendir et parfois le tbel (tambour), se sont les percussions communes à la majorité des musiques régionales marocaines.

  Avant d’aborder l’écriture du Ghiwane, évoquons un élément aussi déterminant, à notre avis, que les précédents : il s’agit du rapport entre les chanteurs et leurs publics. Il est habituel de voir, lors d’un concert, les spectateurs monter sur scène, dans des moments de transe collective, saisir un bendir et jouer avec les musiciens. Il en est de même à la fin des concerts. Les coulisses ne désemplissent pas. Les membres du groupe cultivent ce rapport qui met en évidence une fraternité particulière. Mais l’élément le plus marquant et auquel on a peu prêté attention, c’est l’aspect vestimentaire des chanteurs et sa symbolique.

  Au début de sa carrière, le Ghiwane s’est présenté sur scène en habit noir, chemise et pantalon de confection artisanale. Mais il n’a pas fallu longtemps pour l’abandonner et se présenter en jeans, baskets et tee-shirt ou chemisettes. Rien ne le distinguait de son public. C’est là, et sans conteste, la preuve que le groupe n’entendait nullement se singulariser de son auditoire, créant chez celui-ci le sentiment que chaque spectateur est membre à part entière du groupe. D’une certaine manière, le Ghiwane était la voix d’une expression qui appartenait à tous. Il ne faisait que la mettre en scène et chanter par ‘procuration’ la contestation d’une jeunesse qui, autrement, aurait singulièrement emprunté le chemin de la violence. En l’espèce se pose une question : le Ghiwane n’aurait-il pas servi de soupape ?

  Quelle que soit la réponse, il a réussi à mettre à l’honneur l’expression de tous pour tous et au regard de tous. Les chansons ne sont plus l’exclusivité du groupe, elles sont la propriété de tous car originellement expression ancestrale et séculaire, avec ce que cela peut impliquer parfois comme formes de détournements sémantiques. Par ailleurs, artistiquement, il n’est ni un mythe ni un groupe qu’on exhibe pour être la voix de son maître. La tradition qui veut que l’artiste puise son inspiration dans son milieu socio-linguistique immédiat se trouve largement illustrée par le comportement scénique des membres du Ghiwane. Omar, Laarbi, Paco, Allal et plus récemment Hamid, Chifa et Rachid sont les voix de milliers de marocains anonymes. Aussi, les concerts illustrent une parfaite fusion entre le groupe et les spectateurs, car il y a cohésion entre le propos et l’attitude des chanteurs. Le geste, la musique et la parole s’harmonisent, perpétuant les messages que la halqa véhicule depuis des siècles dans l’espace du quotidien marocain avec toutes ses composantes.

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