« A mon arrivée à Paris, j'ai commencé à me poser des questions sur mon identité »
Artiste épidermique, Mehdi Sefrioui a découvert la photographie à Paris, lorsqu’il y faisait ses études. Son cœur entre Tanger et la ville des lumières, il n’a pas cessé dans son travail d’explorer sa richesse africaine. Confinement avec un photographe au supplément d’âme.
e-taqafa : Comment est née la passion de la photographie ?
MS : J'estime avoir été très chanceux d'avoir découvert la photographie. Elève à Tanger puis étudiant en école de commerce, je n'avais pas de réel projet d'avenir, ni d'objectif professionnel clair. La photographie est arrivée complètement par hasard mais j'ai tout de suite senti l'étincelle s'embraser. Elle m'a d'abord nourri, naïvement, de créativité et de liberté dans un quotidien où je ne me suis jamais senti tout à fait à ma place. Puis très rapidement étant devenu le photographe dans mon entourage j'ai eu un premier contact grâce à un ancien camarade tangérois pour mon premier job en tant que photographe de mode. C'était un petit job, pour beaucoup de travail et un très petit chèque, mais c'était précisément ce dont j'avais besoin pour faire mes armes et oser imaginer la suite. Mes premiers clichés étaient des photos de rue mais je suis vite allé vers les portraits avec plus de mise-en-scène.
e-taqafa : Quand avez- vous décidé d'en faire un métier ?
MS : La photographie m'apportait beaucoup dès mes premiers pas. Etudiant la semaine, je faisais des shootings de mode le weekend et parfois je ratais des cours pour faire des shootings pour des marques.
La révélation a quand même été mon stage de fin d'études de 6 mois dans une agence américaine d'artistes, qui représente photographes, stylistes, etc. Ceci m'a permis d'ouvrir les yeux sur les coulisses de l'industrie et de choisir ce que je voulais en tirer et ce que je voulais éviter.
e-taqafa : Qu’aimez-vous prendre en photo ?
MS : Ma photographie a toujours été intimement liée à mon évolution personnelle. A mon arrivée à Paris, j'ai commencé à me poser des questions sur mon identité. Quitter son chez-soi déclenche souvent ces types d'interrogations. On se construit alors avec et contre certaines choses.
Socialement, je me suis découvert des affinités qui sont devenues amitiés fortes avec des étudiants d'horizons variés notamment de la Martinique, du Côte d'Ivoire et d'Afrique du Sud. Je découvrais avec eux un vécu et une réalité au quotidien qui m'étaient inconnus. Ça a ajouté un niveau de conscience à ma création.
e-taqafa : Est-ce lié à la notion d’esthétisme ?
MS : Il n'a jamais été question de juste faire des jolies photographies, mais il fallait raconter quelque chose. De préférence des histoires auxquelles on ne s'intéresse pas automatiquement avec des profils de mannequins encore trop peu représentés.
Avec une définition plus anglo-saxonne du terme "fashion" qui veut dire façon qui touche plus à l'artisanat du vêtement et son histoire que la mode pensée comme une tendance saisonnière. Les thèmes de l'Afrique et de la beauté noire n'étaient pas encore clairement pensés dans mon esprit même si en pratique je représentais déjà des profils racisés en évitant les clichés et l'exotisme. Déconstruire pour reconstruire.
e-taqafa : Avez- vous une technique particulière ?
MS : Mon art étant un tout, ma technique comprend aussi bien le temps que j'accorde à la préparation de mes séries qu'à la retouche finale qui doit être imperceptible. Un sujet ou un thème peut être latent dans mon inconscient ou surgir soudainement, inspiré par un profil ou un lieu par exemple. J'ai très vite été très exigent et rigoureux quant à la qualité de mon travail dans la forme, techniquement je veux dire. Ce qui m'a permis de me lancer pleinement dans la réflexion sur fond et dans la recherche. Les débats et tables rondes sont aussi un facteur déterminant en plus de la lecture pour être le plus pertinent possible une fois derrière l'appareil photographique.
e-taqafa : Qui sont les photographes qui vous fascinent ?
MS : Plus jeune, j'étais fasciné par les photographies de mode des années 50 et 60 réalisées au Maroc par Irving Penn ou Helmut Newton pour ne citer qu'eux. C'était peut-être mes premières inspirations visuelles. Mais petit à petit j'ai commencé à comprendre les problèmes que ces visuels posaient. La représentation de la femme, les "indigènes", objets de décor et non sujets, le caractère exotique et fantasmé de ces scènes qui n'ont existé que sur le papier des magazines mais qui ont eu un impact considérable sur l'image du Maroc.
e-taqafa : Est -ce que le confinement a apporté du nouveau à votre côté artistique ?
MS : Bizarrement, durant ma jeune carrière j'ai toujours eu des moments de pause où pendant quelques semaines je lève le pied pour me recentrer sur moi-même afin de mieux revenir. C'était généralement le cas une fois par an souvent dans des moments de baisse de l'activité. Conscient de la chance que j'ai, ce confinement m'a servi à apprendre, m'intéresser à des sujets que j'avais laissé de côté par manque de temps, lire et penser les prochaines étapes après le confinement. Rentrer au Maroc après 12 ans à l'étranger impose un temps d'adaptation à mener avec humilité et curiosité pour se reconnecter au mieux.
e-taqafa : Quelles leçons tirées de cette crise sanitaire selon vous ?
MS : Cette crise pour moi est d'abord une crise d'un système arrivé à bout. La majorité des gens veulent retourner à leur vie d'avant Covid mais c'est précisément cette vie qui nous a conduit à cette crise sans précédent. Les personnes les plus riches ont continué à s'enrichir malgré la crise qui a immobilisé tout le monde. Dès les premières semaines de confinement les pics de pollution sont retombés, les animaux ont repris leur droit dans des zones surpeuplées, la planète a pu reprendre son souffle. Ce que les Cop 21 et 22… n'ont pas pu résoudre cette crise sanitaire l'a réalisé.