Fille d’immigrés marocains, Mériame Mezgueldi porte en elle l’empreinte de sa culture marocaine et de cette immigration que l’on distingue dans ses créations. Pour l’Espace Rivages, elle présente Lost. Une exposition où elle partage à travers sa sensibilité, sa perception du monde, son voyage et ses émotions.
e-taqafa : Lost, pourquoi ce choix de nom pour cette exposition ?
Mériame Mezgueldi : Pour moi, la peinture est une expression du réel, une façon de montrer, de réinterpréter la réalité à travers mes yeux, ma propre sensibilité. Ce n’est sûrement pas vrai pour tous les artistes mais pour moi, c’est ainsi que je travaille. Pour cette exposition, quand j’ai réfléchi à l’état du monde, ce qui m’a frappé au bout du compte, c’est l’impression d’égarement que donnent les gens, sans repères, sans objectifs, sans perspectives. Plus la technologie avance, plus les cultures se rapprochent, plus nous sommes perdus. Et moi, la première ! « Lost in the world », d’où Lost. En fait, ce n’est pas si paradoxal. Nous sommes dans cet état de stupeur que provoquent les grandes transitions, comme on est ébloui par la lumière à la sortie d’un tunnel. Une période de troubles, de tempêtes dans laquelle certains sont tentés de se raccrocher à tout ce qui passe pourvu que cela résiste un peu ! Lost, c’est la tentative modeste de saisir en peinture ce laps de temps : ne plus être dans le tunnel mais ne pas encore être accommodé aux temps nouveaux !
e-taqafa : L’immigration est un thème récurrent dans vos créations, ceci relève –t-il de votre parcours personnel ?
Mériame Mezgueldi : Je suis moi-même fille d’immigrés marocains. Comme beaucoup, mon père est parti travailler en France dans les années 50 puis, il a été rejoint par ma mère et les enfants sont nés là-bas. Aujourd’hui, une partie de la famille, les enfants aînés surtout, vit au Maroc, l’autre est installée en France et ma mère se partage entre les deux pays. J’ai vécu pleinement l’immigration. C’est un élément fondateur de ma vie et c’est bien sûr un thème important qui traverse toute ma peinture. Pourtant, pour ce qui est de mes créations, plus que d’immigration au sens strict, je préfèrerais parler de travail sur le « déplacement ». C’est en tout cas l’approche artistique que j’essaie d’adopter, une réflexion sur le déplacement… Le déplacement au sens littéral bien sûr, c’est-à-dire géographique, mais aussi et surtout au sens figuré, c’est-à-dire le "pas de côté", le décalage, le regard décalé sur les choses. Se déplacer, c’est déjà adopter un autre point de vue, c’est voir ce qu’on ne voyait pas, remettre en question ses certitudes, se remettre en question soi-même…
e-taqafa : Lost est une exposition forte en sensations, pourquoi ces thèmes ?
Mériame Mezgueldi : Avec l’exposition Lost, j’ai essayé de donner un certain éclairage aux bouleversements en cours et aux pertes que les gens subissent : déracinement et perte du territoire, perte des repères jusqu’au transhumanisme et la remise en question de « l’identité humaine »… La perte du territoire, de la terre natale, c’est déjà bien sûr ces hommes immigrés, qui ont tout quitté et ont été sacrifiés sur l’autel de la rentabilité économique. On rappelle toujours les problèmes que pose l’immigration, mais c’est aussi elle qui construit le monde de demain. Au-delà de l’immigration économique, il y a aussi tous ces gens chassés de chez eux par les guerres, les famines, les destructions. J’ai voulu rendre hommage d’abord aux enfants, les plus innocents qui souvent perdent non seulement leurs illusions mais la vie dans le voyage. Mais le déracinement, ce n’est pas que le voyage lointain, c’est aussi simplement ceux qui, frappés par la dureté de la vie, n’ont pas su s’adapter assez vite et se retrouvent mis de côté. Comme toujours, les changements frappent plus durement les faibles, les puissants, eux, imaginent des murs pour se protéger.
e-taqafa : Le portrait est un genre que vous privilégiez, qui sont ces hommes représentés dans Lost ?
Mériame Mezgueldi : C’est vrai, je peins beaucoup de portraits. C’est un genre que j’apprécie… J’aime faire passer des émotions, des sentiments, par la peinture d’un regard, d’une attitude, d’un geste. Pour les 10 portraits de Lost, il s’agit d’hommes bien réels, que j’ai rencontrés dans le cadre de ma résidence d’artistes en France. Ces hommes, qui ont accepté de poser pour moi, sont en réalité des personnes pour qui la vie n’a pas été tendre et qui sont en difficulté aujourd’hui. Ils ont tous connu un accident de parcours, un imprévu, qui les a fait sortir du chemin, qui les a "déplacés" : une perte d’emploi brutale, une maladie, un malheur quelconque…Eux-aussi sont donc en transition, comme placés en apesanteur par la vie et ses turbulences.
Avec leurs mots, leurs espoirs petits et grands, tous m’ont touché et je n’ai pas seulement de la tendresse pour eux mais aussi du respect. Ils ont cette forme d’étonnement, « d’incrédulité optimiste » face à leur situation qui est le propre du genre humain et qu’ils illustrent avec force, je trouve, ce que nous ressentons tous, quelle que soit notre culture, devant notre condition humaine.
e-taqafa : Exposer à l’Espace Rivages, dédié aux artistes marocains de l’extérieur, a-t-il une signification particulière pour vous ?
Mériame Mezgueldi : Bien que résidant en France, je suis très attachée au Maroc, bien sûr. C’est un pays qui compte beaucoup pour moi, celui de mes racines, de mon père… J’y séjourne régulièrement. A ce titre, c’est un honneur et un grand plaisir d’exposer au sein d’une Fondation aussi prestigieuse que la Fondation Hassan II et à l’Espace Rivages, une nouvelle et belle galerie. Cette Fondation est aussi un lieu tout particulier pour moi : En tant que fille d’immigrés, je suis un peu considérée comme marocaine en France et française au Maroc. Entrer à la fondation Hassan II, c’est un peu me retrouver enfin chez moi !
Propos recueillis par Fatiha Amellouk