Catalogué sous le protectorat comme « art indigène », le tapis marocain résume à lui seul toute la richesse d’un patrimoine. De par sa matière, sa forme, ses couleurs, il est l’aboutissement de tout un processus artisanal et esthétique dont la réalisation est le fruit de l’imaginaire des femmes, notamment berbères qui lui ont assuré esthétique et pérennité. L’une des caractéristiques du tapis c’est sa capacité à « migrer » et à s’infiltrer dans d’autres formes artistiques. C’est ce que montre l’excellent travail de Françoise Dorget intitulé : « Connexions. Tapis Marocains. Design/Art/architecture », publié en 2018 par Pointed Leaf Press en 240 pages, réédition en 2019.
L’auteure jette un regard nouveau sur sa propre collection, rassemblée au cours de 20 ans de fréquentation du Maroc. C’est un voyage et une histoire à trois récits où se combinent l’art du tapis, celui du design et de l’architecture. Pour Françoise Dorget, « dans aucun lieu du monde, hormis le Maroc, cette tradition particulière du tissage ne s’est exprimée avec une telle créativité et originalité ». Aussi a t-elle voulu les sortir de leur contexte ethnographique pour montrer leur modernité et leurs liens avec la peinture des avant-gardes occidentales et l’art contemporain. Quand ils ne les ont pas impacté directement, ces tapis ont fortement résonné dans les œuvres de Paul Klee, Sean Scully, Frank Stella, Barnett Newman.., pour ne citer que ces quelques noms. De même que d’autres tels Le Corbusier, Alvar Aalto, Frank Lloyd Wright ont intégré des tapis marocains dans l’aménagement de leurs intérieurs.
C’est ce que l’auteure appelle les connexions. Même posé sur le sol ou accroché au mur, le tapis reste un objet mobile ; son univers se déplace sans cesse vers d’autres espaces et d’autres imaginaires. Ce livre ne met pas seulement en exergue la richesse du tapis marocain, il nous fait réfléchir également sur le passé et le devenir de tout un patrimoine, aujourd’hui menacé par la banalisation et la défiguration touristiques.