Sous l’aiguillon de la flamme littéraire, l’écrivain Rida Lamrini continue de creuser son sillon avec la publication en 2022 de ‘Tant que je peux te dire je t’aime’ et en 2023 de ‘Parce que tu m’aimes’. Le premier qui tantôt s’accapare l’allure d’une comédie musicale, tantôt emprunte des passages, sinon des pages entières, au registre fantastique, est considéré aux yeux de l’écrivain comme étant le roman de sa vie. ‘Tant que je peux te dire je t’aime’ a suscité plusieurs réactions auprès de ses lecteurs qui, depuis la parution du roman, n’ont pas manqué de partager leurs ressentis par rapport à l’histoire et à l’avalanche d’émotions qu’elle a dû provoquer chez eux. Découvrons les dessous de cette œuvre qui transpercent… toutes les réalités.
E-taqafa : Y a-t-il une part d’autobiographie dans votre roman « Tant que je peux te dire je t’aime » ?
Rida Lamrini : Absolument pas. Car sinon, l’éditeur n’aurait pas marqué "Roman" sur la couverture de l’ouvrage. Ce n’est pas une autobiographie parce que je crois profondément que notre vie n’intéresse personne. Les gens sensés ont d’autres chats à fouetter que de s’occuper de la vie des autres, à moins qu’il ne s’agisse d’un personnage historique ou d’une personne influente. Ce qu’a vécu l’auteur ne présente aucun intérêt, le monde s’en fiche. Le lecteur ne me connaît pas, par contre le roman l’intéresse en tant qu’histoire. Donc, ma réponse à votre question est non. Certes, j’ai puisé dans ma vie, comme j’ai puisé dans ce qui se passe autour de moi et dans le monde pour enrober le tout dans une fiction et broder une histoire de manière romancée.
E-taqafa : Quelle relation avez-vous développé avec vos personnages ?
Rida Lamrini : Mes personnages m’habitent, au point que ce sont eux qui font l’histoire, évoluent dans la vie, tracent leurs trajectoires, pendant que moi, au clavier de mon PC, je les suis comme une ombre, consignant leurs faits et gestes dans ce qui devient un roman de la vie. Tout comme mes lecteurs et lectrices, je découvre leurs péripéties au fur et à mesure qu’elles surviennent. En fait, dans la vie, je suis comme une éponge. J’avance en absorbant ce qui se passe autour de moi et prends le temps de ruminer tout ce que j’enregistre. Et, le moment venu, je restitue ce vécu par le biais de l’écriture. Certains de mes personnages m’ont été inspirés par des personnes réelles que j’ai métamorphosées en êtres fictifs. Certains jouent un rôle important tels Rayan et son fils cadet, Salim. D’une part, ils ont un rôle subsidiaire, mais qui s’avère déterminant, telle la cartomancienne Khadija, une SDF que j’ai connue et que j’ai fait évoluer en lui attribuant des capacités surréelles, ses visions se réalisant au fur et à mesure que l'histoire se déroule.
E-taqafa : Le narrateur essuie un dur coup de Trafalgar. Dans quelle mesure les faits relatés dans votre œuvre se contrastent-ils avec la réalité ?
Rida Lamrini : Comme il y a une part de ce que j’ai vécu, j’ai dû revivre en mon for intérieur des événements douloureux afin de pouvoir transmettre les émotions au lecteur. Tout l'enjeu est de partager des sensations et des sentiments sincères, de raconter fidèlement les circonstances des péripéties tout en restant, évidemment, dans un registre purement romanesque.
E-taqafa : Rayan débite des références culturelles et historiques harmonieusement avec le facteur spatio-temporel des faits. Est-ce par coïncidence ?
Rida Lamrini : Bien sûr que non. J’ai choisi soigneusement les événements, les circonstances et les sites historiques, grâce à un long travail de recherche. J’ai ensuite suivi mes personnages qui, par leur propre volonté, ont choisi d’évoluer dans ces contextes réels, dans le cadre d’une histoire fictive. Tout a été pensé et agencé pour mettre des informations factuelles entre les mains du lecteur. Le tromper était hors de question pour moi. C'est pourquoi je ne pouvais pas prendre de liberté avec l'Histoire. En plus des références historiques et culturelles, le roman contient également des descriptions de villes, de sites historiques et de leur architecture. La visite de l'ancien président américain Barack Obama au Kenya, l'humeur russe lors de l'annexion de la Crimée par Poutine, les actes terroristes de Charlie Hebdo, du Bataclan…tout y est relaté avec soin.
E-taqafa : Au cours de la lecture, la réalité et la fiction sont équitablement enrôlées. Pourquoi avez-vous fait appel à la fiction ?
Rida Lamrini : La fiction offre au narrateur le pouvoir de se mouvoir librement dans le processus de tressage de son histoire. Pourtant, la réalité n’est jamais bien loin. Ainsi, lorsqu’un personnage passe commande dans un restaurant, les plats demandés sont réels et listés dans une carte que tout un chacun peut vérifier. Le moindre lieu est décrit tel qu’il existe dans la réalité. J’ai mis beaucoup de soin à ficeler tout cela. Au fond, le but à travers l’écriture d’un roman est de procurer du plaisir à mes lecteurs, peu importe d’où je puise ces événements, et peu importe la liberté prise avec la réalité.
E-taqafa : Contrairement à vos habitudes, vous avez mis du temps pour sortir ce roman. À quoi est dû cet espacement ?
Rida Lamrini : Cette œuvre reflète la maturation d'une carrière littéraire entamée il y a une vingtaine d’années. C'est un roman de réminiscences, d’une vision plus large et d’une évolution dans mon écriture. Les autres titres, je les ai écrits dans une période de ma vie où j’étais bouillonnant, révolté et déterminé à dénoncer les injustices sous forme romanesque. Dans "Tant que je peux te dire je t’aime", je m’attaque à des sujets qui touchent l’intimité de l’humain. La profondeur de l’histoire, l’étoffe des personnages, la puissance des émotions, la minutie des recherches et la longue errance de Rayan en quête d’un amour élusif, m’ont demandé pas moins de huit ans pour bien travailler l’histoire et l’écrire dans ce qui s’apparente à une comédie musicale au cinéma, tant le roman est parsemé de chansons et de poésies. Personnellement, je considère ce "Tant que je peux te dire je t'aime" comme l’œuvre de ma vie.