La musique populaire, est basée sur des styles régionaux issus de traditions anciennes, elle reste partiellement codifiée, laisse une part très importante à l'improvisation et s'ouvre facilement à l'acculturation et aux influences qui lui sont extérieures.
Le Maroc reste un pays principalement agricole; la campagne se prolonge même dans la ville, les populations rurales attirées par les mirages de la vie citadine s'installent dans les grandes agglomérations C'est l'une des raisons pour lesquelles l'essentiel de l'activité musicale du pays concerne la musique populaire. Cette musique peut être saisie à travers des joutes rythmiques, des danses, des chants, et des rituels.
Le rythme
Dès son jeune âge, le Marocain joue avec le rythme, il utilise tout ce qui lui tombe sous la main pour le produire ce rythme. Le concours des instruments à vent est souvent nécessaire pour marquer les accents du rythme. Selon le cas, on utilisera la ghayta, le nfîr, le zamâr, la 'awwada. Ainsi de la forme fanfare la plus simple : tbal wal ghayta, à la daqqa majestueuse de Marrakech, il existe plusieurs façons d'agencer les sections rythmiques.
Tbal wal ghayta
Les groupes du tbal wal ghayta s'installent un peu partout dans le pays ; ils répondent aux besoins des fêtes de mariage, de circoncision, de naissance ou de tout autre événement heureux dans la famille. Le groupe comprend, dans sa proportion minimale, un joueur du tbal et deux joueurs de la ghayta. Leur répertoire mélodique n'a pas de limite; l'essentiel étant le rythme, la mélodie peut être indifféremment un chant ancien, ou des chansons en vogue. C'est un genre éclectique qui assure la musique de cortège (souvent une hdiyya, offrande) et draine outre le public de la fête un autre public composé des enfants du quartier attirés par la musique.
Jahjouka
Les maîtres musiciens voyageaient à travers la vallée de Srif, au bord de la chaîne montagneuse du Rif, pour animer les noces, les fêtes, les veillées mais aussi pour plusieurs autres occasions au cours de l'année.
Sidi Ahmed Chikh, fondateur du village de Jahajouka, recevant les aventuriers de la tribu, leur proposa un nouveau métier, celui de musicien, et les dirigea vers Ouezzane et Chefchaouen pour qu'ils se procurent respectivement la ghayta et le tbal.
Les musiciens jouent sans interruption pendant de longues heures, alors que la foule, hommes, femmes et enfants, assiste admirative, fascinée par le son strident des ghaytas, et envoûtée par le rythme lancinant et vigoureux des tambours.
L'un des dons particulier des musiciens est leur capacité à tenir une note d'une façon interminable avec le procédé de la respiration circulaire, ainsi que leur grande maîtrise du rythme.
Les musiciens de jahjûka ont été révélés au monde occidental par le disque des Rolling Stones en 1967. Après cela, le véritable engouement des anglo-saxons a porté ces musiciens au pinacle sans altérer leur mode de vie ni leur habitudes ancestrales.
Daqqa de Marrakech
Une joute de percussionnistes, un mélange de mysticisme et de satire, une occasion de communion et de h5ertissement. La daqqa (littéralement: frappe) passe par trois phases ordonnées selon le principe de l'accélération rythmique : al'ayt, une partie médiane et le final afoûs (main, en berbère).
Dans la première phase, les airs sont collectivement chantés avec la série des saints de la ville, son caractère solennel et majestueux rappelle le mouvement large de l'ahwâsh.
La phase médiane est d'un mouvement modéré. Ici la phrase musicale est simple, elle sera répétée inlassablement en préparant progressivement la mutation du rythme dans la troisième phase, afûs, qui engage toute la vigueur rythmique de l'ensemble. Commençant sur un temps modéré ternaire, afoûs atteint son point culminant en associant le nfîr (trompette populaire).
Hawzi
Une légende ancienne du Hawz (région de Marrakech) fonde une pratique musicale et rythmique très estimée : jadis, la rivière du village tarit, mais après quelques années, la sécheresse durement ressentie, fit place à une bonne pluie. Les gens étaient si contents qu'ils se mirent à trépigner sur la terre pleine d'eau. Aujourd'hui les danseurs du hawzi continuent à honorer la légende al-wâd (la rivière), ils battent des pieds et poussent des cris de joie : cela donne lieu à une danse bédouine qui utilise un répertoire très rythmé avec un dessein de h5ertissement voire souvent de burlesque assez apprécié du public. Le violon grinçant, la voix de fausset du chanteur principal, sont là pour habiller le rythme des ta'rijât.
Les danses
La danse est un moment de communication, une expression de joie et d'accomplissement; elle est la réalisation corporelle du rythme qui accompagne et ponctue le cycle de la vie sociale. A côté des deux danses principales Ahidous et Ahwash, nous retrouvons plusieurs autres danses régionales.
Ahidous
Ahidous est la danse des tribus ayant en commun le parler tamazîght, c'est-à-dire de celles qui peuplent le Moyen-Atlas, le Haut-Atlas oriental et certaines plaines environnantes. C’est un spectacle total qui déploie musique, rythme, poésie, danse et une foule de signes que l'expérience des siècles a affinés et enrichis. La musique chantée par des chœurs mixtes est accompagnée d'une batterie de bendîrs.
On pourrait alors remarquer une structure modèle où vont apparaître successivement :
- Tamawayt qui est un appel, un chant solo ad libitum exécuté par une femme ou par un chanteur à la voix forte et aiguë
- La phase lente celle du rythme quinaire (à cinq temps);
- La phase modérée avec des rythmes binaires;
- La phase rapide avec des rythmes binaires et ternaires;
L'ahidous est généralement constitué par un grand cercle où, épaule contre épaule, des hommes et des femmes reproduisent des mains, des pieds et du corps entier les mouvements et fluctuations du rythme, tout en alternant les deux fragments de la phrase musicale.
Ahwâsh
La danse se constitue progressivement et ses sections se composent. Une voix aiguë entame alors le poème chanté en proposant la première tahwasht. Le chœur le reprend avant que la percussion ne se balance progressivement du lent au rapide et que les voix et le jeu ne suivent spontanément. Quand les deux sexes participent à la danse, il sont séparés (le groupe des femmes est en face ou bien autour des hommes). On aura aussi des ahwâsh pour femmes, comme il y a des ahwâsh exclusivement masculins.
A la différence de l'ahidous, l'ahwâsh pratique la h5ision des percussionnistes : tous les bendîr n'ont pas la même fonction ni le même registre sonore, quelques uns déploient toutes les possibilités des variations rythmiques et des contretemps sur un rythme de base soutenu par les autres percussionnistes. De même, au Sud et à l'Est du Souss, le ganga (grand tambour africain) est destiné à ponctuer des phrases longues et lentes et à donner à l'ensemble plus d'entrain et plus de vigueur.
Autres danses
De nombreuses autres danses collectives mettent en avant certaines particularités régionales et s'articulent autour d'un gestuel signifiant et symbolique ; deux grands thèmes apparaissent : la force et l'amour, nous permettant de dégager deux groupes de danses que nous avons appelées respectivement danses de simulation guerrières et danses de séduction.
Le premier groupe use de la force et de la dissuasion. Il en porte des signes manifestes comme les armes (koumiya, sabre, fusil, bâton), les accessoires (bandoulière de cartouches, poudrière…), la monture (cheval…). Les danses guerrières, de par leur caractère viril et souvent violent, excluent la femme, mais aussi le texte poétique ; il n' y a pas de chant, seulement des cris.
Dans le deuxième groupe, on retrouve le dialogue amoureux et la sensualité à des degrés h5ers. La femme y est un personnage central, elle est bien habillée et richement parée.
Les danses de l’oriental marocain :
L'Orient du Maroc est limité géographiquement par le col de Taza et la province d'Al Hoceïma, la Méditerranée, l'Algérie et la province d'Errachidia. C'est une région généralement aride malgré le fleuve Moulouya et la plaine de Trifa, une austérité naturelle qui se reflète aussi dans les danses la'lâwi, nhâri et mengoushi.
Chacune des danses se distingue par son rythme, ses accessoires (percussion, bâtons, fusils,..) son costume, ses sections (les ‘arfa percussionnistes, les shioukh musiciens, et les bârdiya (cavaliers baroudeurs).
Ces danses sont particulièrement riches en gestuel et la présence d'un code entre les danseurs, le chef, et les percussionnistes.
Ihayyaden (wlad sidi hmad ou Moussa)
Dans l'imaginaire populaire, Sidi Hmad ou Moussa, disciple de 'Abdelaziz Al Harrâr et de Ahmad Ibn Yousof Al Melyâni, était célèbre par ses activités corporelles et sa qualité de jongleur. Il était censé dévoiler ce que ses interlocuteurs taisaient, comprendre le langage des animaux et des oiseaux, changer le sable en or, guérir les malades et les paralysés et redonner la fécondité aux femmes, aux animaux et aux plantes ; enfin son charisme lui permettait de critiquer solennellement le pouvoir Saadien en place.
Les adeptes de Sidi Hmâd ou Moussa, les plus doués notamment pour la danse et la musique vont continuer la tradition à partir de Tazerwalt. La troupe ambulante des Ihayyaden sillonne la région de Souss animant les spectacles et véhiculant l'art du bas Souss dans toutes les régions de l'Anti Atlas et du Souss. Le lien avec la danse ahwâsh est manifeste, les ihayyaden en gardent certains aspects, notamment la division danseurs / musiciens, et l'introduction astâra avec la flûte (awwada).
Aqallâl
Danse typique de Tafilalet (Sud Est) et Zagora; Aqallal comprend dans sa proportion minimale, sept personnes : deux hommes de sabres, un joueurs du nay et quatre chanteurs percussionnistes avec deff ou harrâz.
La danse est accompagnée de chants religieux mais peut aussi solliciter un répertoire profane (amour, nature, société…). Quelque soit le genre chanté, les mélodies sont simples et intimement liées aux pulsations du rythme.
Le mouvement lent de la danse se répercute sur les gestes qui le sont aussi. C'est un simulacre de combat, un duel au ralenti qui rappelle des danses arabes de Hadramawt et la 'ardha de Nejd.
Taskiwîne
C'est la danse guerrière par excellence; ici rien n'est ménagé pour compléter l'atmosphère, une corne à poudre (à laquelle on doit le nom de la danse), des bandoulières, la ta'rija qui simule les coups de feu, des cris, le pas cadencé des danseurs guerriers.
La guedra
Les hommes bleus des confins sahariens entourent le personnage principal de la danse al guedra : une femme drapée, voilée, laissant paraître deux mains ornées de henné; la tension du rythme monte progressivement, les hommes et les femmes du chœur battent des mains en chantant, le chanteur principal joue le tabl alors que la danseuse s'installe dans le rythme, assise sur les genoux, et commence à répondre, les yeux presque fermées, par des mouvements de bras, un vacillement de la tête.
Le jeu des doigts et des mains, de la tête, des yeux et du buste participent à la définition de la danse qui, bien que réputée profane, est extatique. La femme y est symbole de sensualité et de fertilité. Elle conduit sa danse jusqu'à épuisement (réel ou simulé).
Houwâra
A quelques quarante kilomètres au sud de la ville d'Agadir, la tribu de Huwâra est un îlot arabophone au milieu des berbères chleuh. Une ligne de danseurs hommes est encadrée par un homme et une femme appelés, tous les deux, à réaliser un pas de deux sous forme de duel et d'approche de séduction.
Le propre de cette danse est sa richesse rythmique, une suite de rythmes binaires, ternaires, et alternatifs à sept et à cinq temps démontrent la maestria des percussionnistes de Huwâra. Ainsi la danse commence par un rythme à sept temps, en même temps, le naqûs fait de furtives apparitions pour dynamiser le rythme de base tenu par la târa.
Le chant populaire
Les Marocains chantent dans leurs fêtes familiales, dans les veillées amicales, mais aussi pour eux-mêmes dans l'intimité du quotidien. Le chant ponctue chaque moment important de l'existence : la naissance, la circoncision, "khatm al qur-ân", le mariage avec toutes ses phases, et parfois même la mort.
Les genres où le chant domine les autres composantes de la création populaire (textes, rythmes, danses…), peuvent être saisis à travers les modèles génériques suivants : al'aîta, at-taqtûqa, izlân, izrân, et la chanson hassanie. Bien souvent, la chanson populaire citadine emprunte ses éléments aux genres déjà cités.
Al 'aita
C'est principalement dans les plaines centrales bordant l'Atlantique qu'"al 'aïta" est appréciée le plus. Le genre est particulièrement pratiqué dans les régions de Shawiya, Doukkala et 'Abda, c'est-à-dire dans l'axe Casablanca-Safi. On retrouve aussi al 'aïta dans les plaines de Z’aïr, à Béni Mellal et au Haouz, avec des variantes consacrées. Le terme ‘aïta est utilisé aussi pour désigner le chant des Jbala, désigné à tort par le vocable taqtoûqa jabaliya. Enfin nous avons relevé le même terme dans la hadra des hmadsha d’Essaouira (partie instrumentale introduisant la transe) et dans " al ‘ayt " de la première phase de la daqqa de Marrakech.
Il s’agirait d’une dérivation du verbe "‘ayyat" appeler, en arabe dialectal. L’appel n’est pas seulement cette invocation, d’Allah et des Saints, par laquelle presque toutes les ‘aita commencent, mais il a également d’autres connotations : celle d’anticiper, de rechercher et de demander l’inspiration.
Toutes les 'ayoût à l'exception d'al 'aïta za'riya usent des changements rythmiques et selon une coupe généralement à trois phases progressivement accélérées.
Selon Mohamed Abou Hamid, la 'aïta est partie de sa plus simple expression "al muqlâ'" (la distique) pour devenir au fil du temps une composition élaborée dont le meilleur modèle est la variante "marsâwi". Ce sont des strophes "qatibât" reliées par des cadences et des transitions poétiques "hatta". La 'aïta se termine par une "sadda", ou cadence conclusive.
At taqtouqa al jabaliya
Dans le répertoire des tribus jbala au Nord-Ouest du Maroc, un genre musical est à l'honneur : c'est la "Taqtouqa jabaliya" (dénomination contestée mais aujourd'hui consacrée par l'usage) ; les puristes préfèrent encore l'appeler 'aïta jabaliya.
Cette 'aïta un peu particulière qui est placée par ses acteurs sous l'égide spirituelle du saint patron le pôle moulây 'Abdessalâm Ben Mshîsh, adopte la structure d'une complète suivante :
- " ar-rayla " ou prélude instrumental non rythmé, ayant pour fonction de présenter le mode principal du chant et ses différentes phases ;
- trois parties rythmiques distinctes se succèdent ensuite : al'aïta, al-gubbâhi et la drika (le final dansant).
La chanson rifaine
La h5ersité de ses composantes s'exprime dans la pluralité des termes utilisés: "imdyazen" pour les chanteurs professionnels, "zhîd" pour les chants mystiques de femmes, "inouray" pour les duels d'improvisation poétique accompagnés et soutenus par le chant, nous retrouvons également des genres comme "arâziq", "laghnouj" (chanson), "izrân" (chant d'amour généralement satirique), "timajja" (danse typique traditionnelle) ou encore 'aïta (chants guerriers).
La musique rifaine, encline au rythme binaire, simple mélodiquement et métriquement, utilise les instruments suivants :
- Tamja : grande flûte en roseau.
- Zamar : flûte double à cornes.
- Ghayta : hautbois populaire à anche double.
- Adjoun : tambourin sur cadre. Le même en petite taille s'appelle tadjûnt.
La chanson du moyen atlas
Deux traditions de chants constituent le fonds musical dans lequel puisent les chanteurs berbères du Moyen Atlas : izlân et tamediâzt.
Le premier genre est fortement ancré dans la collectivité tribale, alors que tamediâzt représente plutôt l'aspect professionnel et itinérant, et si izlân s'incorpore à l'ahidous, tamediâzt laisse la place à la chanson nouvelle, celle qui est popularisée par Hammou Lyazid et les chanteurs de sa génération.
- Izlân est constitué le plus souvent de distiques répétées par antiphonie et alternativement par deux groupes de chanteurs ;
- Tamawayt est l'improvisation d'un chanteur soliste dans un registre assez aigu. Ce genre peut-être autonome ou constituer une introduction (un appel) à l'ahidous.
- Tanachchadt est un chant de narration qui procède par couplets apparemment indépendants les uns des autres. Il est basé sur un pouvoir extraordinaire d'improvisation et de création par suggestion.
La chanson du moyen Atlas a emprunté à l'ancien izlân sa structure et son style; une phrase carrée et une coupe strophique à refrain repris par le chœur. A partir de la fin des années soixante, les chanteurs commencent à prendre des libertés quant à la métrique traditionnelle issue de l'izlân. Les phases musicales prennent des tournures libres.
La chanson hassanie
La chanson hassanie du Sahara marocain est une synthèse entre le système modal et rythmique berbère et celui de la Mauritanie du Nord dont les modes sont liés à une représentation cosmique particulière (les modes se répartissent principalement autour de deux "voies" : labyadh (blanc) et lakhal (noir) qui déterminent les différentes phases du discours musical).
Comme en Arabie antéislamique, la sévérité du milieu naturel n'a pas empêché le développement de la poésie ; les Sahraouis, essentiellement des nomades, l'abordent avec un naturel et une spontanéité sans pareils. Une tradition d'improvisation poétique fait la fierté des tribus et rehausse la qualité des veillées où l'on chante, danse et récite les poèmes du moment.
Le rythme, d'abord large, passe progressivement au mouvement rapide.
Le soufisme populaire et les danses de possession
Le fait religieux est présent dans tous les chants populaires, y compris les genres réputés profanes ou franchement licencieux. Là encore, on commence par les formules introductives d’usage : bismillah (au nom d’Allah) ou çalat ala nabi (salut au prophète). On peut même enchaîner sur une maw’ida (conseil de piété) avant d’entamer un répertoire diamétralement opposé. La musique elle-même est un don de Dieu ou de l’un de ses saints.
On pourrait dans les genres spécifiquement mystiques, faire la distinction entre le répertoire codifié et savant du " samâ’ " et le soufisme populaire, celui des turuq soufiya (voies mystiques- confréries). Notre point de départ sera donc les zâwiyât. En dehors des zâwiyât, toujours en respect à la hiérarchie des saints, des groupes isolés chantent un répertoire mystique riche et sincère. C’est le cas notamment des fqirât de Tétouan, des m’almat de Meknès et de certains chanteurs du Malhoun qui affectionnent les thèmes religieux et mystiques.
Enfin la tradition du soufisme populaire n'est pas toujours pure, des survivances antéislamiques et des rites subsahariens de possession y sont présents.
Le répertoire mélodique et rythmique des confréries est large, riche et vivant, il véhicule un triple langage ou plutôt un langage à trois niveaux : le symbolique, le verbal et le musical. J'ai choisi de présenter deux confréries et un répertoire de la possession Hmâdsha, 'aïsawa et gnâwa peuvent représenter toute la dimension mystique et ésotérique de la musique populaire du Maroc.
Les hmadsha
Le fondateur de la zâwiya est Sidi 'Ali Ben Hamdûsh (XVII° siècle). Son moussem est une fête rituelle organisée dans plusieurs régions du Maroc, notamment à Sidi Benaïssa de Meknès et à Essaouira.
A Essaouira, la fête commence par une procession qui envahit les artères de la ville. Ensuite, conduisant le taureau et porteur de drapeaux (la'alâm), le cortège ouvre solennellement l’activité rituelle à l'intérieur de la zâwiya. Il faut d'abord sacrifier le taureau, tandis que les musiciens jouent la nûba (morceau de musique andalouse). A tour de rôle, chaque groupe accomplit le rituel complet qui comporte, entre autres, la thérapie traditionnelle des dghoughiyines taflâq (frappe de la tête) et la vente du pain béni de la zawiya. La coutume veut que les tripes de taureau soient vendues aux enchères (vente gracieuse : la baraka).
Le rituel est appelé aussi yad el hadra (littéralement : main de la hadra). Il passe par quatre phases : al awrâd, hizb ach¬ chaikh, al adkâr, al hadra.
Les instruments de musique utilisés sont la ghayta, le tbel et le harraz ; la ghayta. est un hautbois populaire, de tessiture relativement restreinte, fabriqué à partir de l'abricotier ; le harraz est une percussion battue à mains nues, et porté sur les épaules ;
le tbel est un tambour.
A ces instruments s’adjoignent des habits (draya, tchamir chedd, belgha) et des accessoires (étendards et drapeaux, petites haches pour dghoughyînes).
Les 'Aïssawa
La confrérie des 'Aïssawa a été fondée au XVI° siècle par sidi Mohamed Ben 'Aïssa, appelé aussi cheikh al Kamel (le cheikh parfait); On raconte qu'à sa mort en 1526, l'un de ses disciples, bouleversé, se mit en transe et lacéra ses vêtements et son corps. Dans cet état, il alla jusqu'à dévorer crus un mouton et une chèvre Cette légende est à l'origine de deux pratiques fondamentales de la confrérie : la hadra (pratique collective de la transe) et la frissa, particulière aux 'Aïssawa, qui consiste à dévorer un animal vivant.
Le moussem le plus important des Aïssawa se tient annuellement à Meknès près du sanctuaire du cheikh al kamel, à l'occasion de la célébration de la naissance du Prophète.
Le rituel 'aïssawi se h5ise en deux parties : la première comprend le hizb (une longue prière chantée) et les qçâyed; l'ensemble est désigné par le terme général dikr. Après une pause, la deuxième partie se h5ise elle-même en deux moments : le hurm et la hadra
Les 'Aïssawa utilisent les ghaytât souvent en trio et une percussion constituée par tassa, ta'rija, tbel et bendîr à cymbalettes.
Le muqaddem entouré des anciens Aïssawas dirige la marche de front si la largeur de la rue le permet. Les jeunes ayant revêtu la tunique blanche (derra’iya) ou la tunique à rayures rouges, progressent en dansant le rabbâni et en lançant inlassablement et à voix forte l'invocation caractéristique de cette danse, Allah dayim (Dieu éternel).
Les gnawa
Les relations de l'empire marocain avec les régions africaines subsahariennes, aboutissent à partir du XVI° siècle à l'introduction des éléments de l'art musical gnawi. Pour la plupart des descendants d'anciens esclaves noirs, ils font de leur cérémonie un rite de possession à fonction thérapeutique. Y sont invoqués Dieu, son prophète Mohamed, les grands saints de l'Islam populaire comme Moulay Abdelkader Jilali et Moulay Brahim, mais aussi des êtres surnaturels susceptibles de posséder les humains.
La cérémonie des gnâwa se développe dans l'espace d'une lila (la nuit en arabe dialectal). Son rituel comporte trois grandes phases : al 'ada (la coutume), les kouyou, et les m'louk constitués en groupes distincts caractérisés par sept couleurs différentes.
Les instruments de musique des gnawas sont : le guenbri (ou hajhouj) qui est un luth à trois cordes et de registre bas, les qrâqeb (crotales), et le tbel (grand tambour).