Comédien caméléon capable d'incarner toutes les métamorphoses au cinéma et sur les planches, Malek Akhmiss, a tour à tour joué dans « La Chambre noire » de Hassan Benjelloun, « La Source des femmes » de Radu Mihaileanu, « C'est eux les chiens » de Hicham Lasri et dans Sex & The City ! Fidèle au 7e art né d'un esprit de troupe, il tient le haut de l'affiche de « The Sea is behind » nouveau film de Hicham Lasri, sorti en salle en mois d'octobre au Maroc. Entretien inspiré.
e-taqafa : Vous passez avec aisance d'un rôle à l'autre, à travers des registres très différents. Comment abordez-vous des personnages souvent complexes ?
Malek Akhmiss : J'adore les rôles atypiques, qui sortent de l'ordinaire et se révèlent forcément complexes, je m'y investis corps et âme, surtout lorsqu'il s'agit de rôle de composition. C'est stimulant, de se mettre en danger pour un comédien, ça me donne de l'adrénaline et me pousse à m'approprier totalement le personnage que j'incarne, quel qu'il soit. De plus, j'aime me mesurer à de nouveaux défis, je suis très exigeant avec moi-même. Evidemment, tant mieux, si je peux me mettre en danger et ne pas tomber dans l'écueil de rôles attendus.
e-taqafa : Vous incarnez Tarek, rôle qui vous révèle incroyablement dans le nouveau film d'Hicham Lasri, « The Sea is behind » sorti le 27 octobre au Maroc au sein des Instituts français puis en salle. A-t-il été difficile de quitter un tel personnage ?
Malek Akhmiss : Il ne s'agit pas d'un rôle évident à interpréter, à vivre. Tarek, est un personnage qui m'a longtemps hanté, ce n'est pas un personnage facile. Il est taiseux, taciturne à l'extrême, paradoxalement, il dit oui à tout, même pour se faire battre. On ne perçoit ses expressions qu'à travers ses yeux: il faut tenir compte de l'environnment de Tarek, prendre conscience du poids du passé, de ses malheurs, la trajectoire d'un destin fracassé sans aucune lueur d'espoir. Tourné à Casablanca en noir et blanc, on y retrouve Hassan Badida, Salah Ben Salah et Yacine Sekka.
e-taqafa : Parlez-nous plus amplement de l'histoire de Tarek, homme qui danse dans lahdia au plus fort des années 80...
Malek Akhmiss : C'est un personnage qui ne broie que du noir, il vit replié sur lui-même. Il ne fait confiance à personne, sa femme et ses enfants ont été tués par un policier. J'y incarne le rôle de lahdia, cet homme qui dansait dans les mariages des années 80, sur le carosse de la dote du marié, tiré par son père, qui aime plus son cheval que ce fils.
e-taqafa : Comment le cinéaste Hicham Lasri vous a-t-il présenté ce personnage imprégné d'une évidente fêlure ?
Malek Akhmiss : Nous avons d'abord, fait une première lecture, indispensable pour assimiler et comprendre la réalité de Tarek : l'époque, les seconds rôles, le ton, l'aspect vestimentaire, sa relation avec lui-même et autrui. J'ai en effet, besoin du sous-texte d'un scénario, cela me nourrit pour mieux disséquer la psychologie du rôle à composer : sa démarche, sa façon de s'exprimer. Même le silence d'un personnage, est important.
e-taqafa : Vous avez jouez également joué deux rôles dans la pièce Bin Bin, primée au festival de théâtre national de Meknès il y a un an. La pièce, qui prône la mixité et l’interculturalité, a aussi été jouée en France, alors marquée par une montée de l’islamophobie. Aviez-vous une appréhension en montant sur scène ?
Malek Akhmiss : Non. Si je devais avoir peur à chaque fois que je monte sur scène, j'aurai déjà changé de métier. Je ne prête pas le flanc à ce type de tension, je suis un artiste, un passeur de messages. Je joue pour partager des émotions avec tous les publics du monde en dépit de nos différences d'opinion, de croyance ou de culture. Il faut susciter des réactions, faire réagir, choquer les spectateurs: ne pas rester figé dans une sorte de précaution de la pensée et de morosité ambiante. Je suis un être fait de tolérance, d'ouverture d'esprit et de curiosité.
e-taqafa : Vous avez aussi une vraie passion pour la langue arabe et la poésie classique...
Malek Akhmiss : Oui, j'aime particulièrement les anciens poètes du monde arabe, capables d'une rare finesse d'esprit, d'une profonde fulgurance dans la langue, le sens de la métaphore, le romantisme, le souffle. Certains poèmes sont de véritables orfèvreries, qui ont marqué leur siècle, hissé leurs auteurs au plus haut point. J'ai un réel respect, un grand amour pour le texte, lorsqu'il est bien écrit, ciselé avec soin. De plus, un poème dit aussi, l'histoire d'une époque au-delà de la sensibilité de son auteur.
e-taqafa : Vous avez vécu quatorze ans en France. Votre retour était-il lié à un besoin de renouer avec vos racines marocaines ?
Malek Akhmiss : Oui. Un proverbe arabe dit, « l'étranger retourne toujours à sa terre natale » J'ai le Maroc dans le sang, son pouls battant. J'ai besoin des traditions et de l'âme de mon pays, je ne peux pas vivre hors du Maroc. J'aime y insuffler mon art, me nourrir de celui des cinéastes et metteurs en scène de théâtre, participer activement à la création artistique, plus foisonnante que jamais.
Propos recueillis par Fouzia Marouf.