Les contes merveilleux ne se racontaient jamais pendant la journée. Sans doute parce que le jour est le temps du travail, où chacun doit rester attentif à ses occupations. Cette interdiction se retrouve dans le monde entier. Les peines encourues par celui ou celle qui aurait enfreint l’interdit toucheraient la famille proche du conteur : à Fès, ses enfants naîtraient teigneux ; dans le Tafilalet, ils naîtraient boiteux, aveugles ou jumeaux collés par le dos ; dans l’Anti-Atlas, on disait que des cornes pousseraient sur le front de son oncle ou que la conteuse mettrait au monde des enfants minuscules, rachitiques et sans force ; chez les Ida-ou-Kensous, dans le Haut-Sous, les enfants seraient tués par des bêtes à cornes.
Pour marquer l’entrée dans le non-lieu non-temps de l’utopie et permettre à l’auditeur de se distancier par rapport à l’histoire, le conteur l’encadre traditionnellement de formulettes introductives qui n’ont rien à voir avec le corps du conte. Ce système se retrouve dans le monde entier.
Voici une formulette introductive fassia : « Il y avait et il y avait et il y avait Allah en tout lieu ; aucune terre et aucune place ne sont vides de lui ; et il y avait du basilic et du lys dans le giron du Prophète — sur lui la bénédiction et la paix de Dieu ! — et il y avait… »
Et voilà la formule finale des Ntifa : « Je l’ai laissée dans la misère et je suis revenu en paix ! » ou bien : «Je suis allée chez ma tante et mon bol s’est cassé !»
Après cette fermeture de la porte de l’imaginaire, tous les personnages évoqués précédemment vont continuer à vivre dans l’inconscient, et chacun retourne à ses occupations habituelles, la tête remplie de rêves et de réflexions.