Kamal Hachkar, ses voix de femmes

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Cinéaste qui explore l'Histoire et ravive la mémoire, Kamal Hachkar, auteur du poignant « Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah », documentaire qui recueillait la parole des juifs et des musulmans du village de Tinghir, signe une série de portraits de femmes issus de milieux ruraux dans le cadre de la Cop 22. Il se dessine des héroïnes du quotidien, entières et 100% nature.

e-taqafa : Comment est née l'idée de ces portraits de femmes réalisés dans le cadre de la COP 22 ?

Kamal Hachkar : J'ai été approché par Leïla Rhiwi, représentante ONU Femmes Maghreb et Jean-Marc Berthon, conseiller de Coopération et d'Action Culturelle qui œuvre au sein de l'ambassade de France à Rabat. Ils m'ont convié à un rendez-vous, afin d'évoquer les contours de ce projet de courts-métrages d'une durée de six minutes chacun, destinés à consacrer un éclairage sur des femmes, pleinement engagées au cœur de coopératives marocaines. Dès lors, je me suis intéressé à trois sites, Dar Bouazza, Tinjdad (sud-est) et Lkissen (Rif): choisis et déjà soutenu par ONU Femmes, qui accompagne le travail agro-alimentaire de ces femmes qui créent leurs produits bio.

e-taqafa : Comment avez-vous choisi les trois femmes, personnages principaux de cette série de portraits intitulés « Leïla, Souad, Yto »?

Kamal Hachkar : En commençant à préparer ces courts-métrages qui devaient se dérouler en six minutes, j'ai trouvé ces trois femmes, Leïla, Souad et Yto, tellement riches, pétries d'une force de caractère, débordantes de charisme que j'ai eu envie de les raconter sous la forme d'un portrait de quatre à cinq minutes. Elles incarnent, selon moi, des femmes leaders avec une forte personnalité et elles sont totalement indépendantes. Chacune d'entre elles, forment d'autres femmes dans sa région natale : elle véhicule une part politique entre l'égalité homme-femme très intéressante.

e-taqafa : Parlez-nous de leur avancée ?

Kamal Hachkar : Elles transmettent un évident savoir-faire et elles participent de plus, au bienfait de l'environnement. Elles créent leur propre modèle économique, elles vendent leur production aux souks, aux supermarchés, elles pallient au manque d'eau et à l'aridité par le biais d'un système de gouttes à gouttes. Elles participent également, à des programmes de formations dispensés par ONU Femmes en termes d'auto-suffisance alimentaire. A partir de ces réalisations concrètes, elles forment à leur tour, d'autres femmes, désireuses d'apprendre.

e-taqafa : Que retenez-vous de votre rencontre avec Leïla, Souad et Yto ?

Kamal Hachkar : Leur optimisme, leur énergie à transmettre et à partager, leur générosité et leur envie de témoigner de leur expérience. Elles donnent toute la place à autrui et ne l'écartent pas. Tourner à leurs côtés, s'est révélé, particulièrement enrichissant. Et en plus, elles crèvent l'écran ! J'ai vraiment souhaité poétiser ces portraits de femmes en introduisant de beaux travellings afin de suggérer un voyage vers un ailleurs, à travers un road-movie triangulaire entre Dar Bouazza, le sud-est et le nord marocain. Je voulais montrer les lieux et l'environnement où elles évoluaient. J'ai évité les codes d'une interview classique, inscrite avec un arrière plan et un décor : on les approche au plus près de leur vérité, comme si elles nous parlaient directement, elles nous font partager leurs chants, du coup, elles nous donnent envie d'être avec elles.

e-taqafa : On a découvert votre regard au Maroc avec le documentaire « Tinghir-Jérusalem. Les échos du Mellah ». Avez-vous eu beaucoup d'émotion à revenir sur les traces de votre enfance lors de ce tournage et à vos racines à Tinghir ?

Kamal Hachkar : Grâce à mes parents, je n'ai jamais interrompu le lien avec mon village natal. Chaque été, nous revenions au bled, c'était très important pour nous. Je vivais alors, une vraie aventure doublée d'un voyage dans le temps. Dès ma prime enfance, je suis retournée au cœur de notre maison faite en terre de pisé, bâtie dans la vieille ville. C'était bien sûr très émouvant de me retrouver dans ses ruelles, imprégnées de souvenirs qui me sont chers, au plus fort de ce tournage. Au début de la phase de recherche, regarder les photos de mes grands-parents était chargé d'une forte émotion. L'existence de la communauté juive marocaine, m'a de plus, été révélée par mes grands-parents lorsque j'avais 16 ans : j'ai alors pris conscience d'un autre monde disparu et réduit aux maisons vides de Tinghir. De nombreux questionnements ont surgi en moi, comment parvient-on à quitter sa terre natale et survit-on à cet arrachement brutal ? J'ai également été particulièrement marqué par le livre du grand écrivain Edmond Amran El Maleh « Mille ans et un jour » qui interrogeait le fait dont une communauté tant ancrée était amenée à quitter soudainement sa terre...

e-taqafa : Justement, vous poursuivez cet écho à votre œuvre en suivant les pas de personnages d'origine juive marocaine dans votre prochain documentaire...

Kamal Hachkar : Oui, à travers, « Retour au pays natal », j'évoque le portrait de la troisième génération d'artistes juifs marocains. Et je travaille actuellement à la réalisation de ce nouveau film.

Propos recueillis par la Rédaction e-taqafa