Belfquih s’est engagé dans un processus de création qu’il nomme Callipainting. Son approche artistique suit un cheminement entre la calligraphie, la peinture et la poésie. Les créations de cet artiste ne se soumettent à aucun étalon préétabli à l’aune duquel on pourrait les évaluer. Car dans son cas, Il constitue un fait pictural en formes et en couleurs pour une intention bien définie : transmettre un message de Paix.
Imprégné de ses voyages, au Sahara marocain, en Malaisie, en Indonésie, en Europe… il crée suivant ses « convictions du droit à l’expression libre ». Sa démarche est multiple et sincère.
« Cœur Blanc » est une exposition organisée dans un contexte de confinement et de crise sanitaire mondiale. Elle est d’abord virtuelle sur www.e-taqafa.ma avant de devenir réelle à l’Espace Rivages.
e-taqafa : Cœur blanc, pourquoi ce titre ?
Abdelkhalek Belfquih : C’est une expression marocaine - الأبيض القلب - qui exprime la bonté et la paix intérieure.
e-taqafa : Quel est votre parcours ?
Abdelkhalek Belfquih : 1959, l’école maternelle a été l’école coranique. J’y ai appris à préparer ma tablette avec de l’argile et à calligraphier avec le calame et le smagh. 1969, à l’âge de treize ans, j’ai commencé à peindre en cachette observant tout ce qui était autour de moi. 1979, à cause et grâce à un accident de circulation à Agadir, j’ai été confiné durant plus d’une année, ce qui m’a permis de préparer et de présenter ma première grande exposition. Par la suite, j’ai enchaîné le travail pictural et les expositions à travers plusieurs villes et pays. 1989, une formation à l’Institut Marly Le ROY et à Bouzniqa, encadré par l’artiste Jean-Bertrand Cire (assistant de Fernand Léger), a été une ouverture vers de nouveaux horizons. De 1994 à 1996, un long voyage à travers l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, le Sud-Est asiatique (Indonésie, Singapour, Bruneï), et la Russie, a été une fructueuse expérience riche en découvertes. 1999, je me suis installé dans le Roussillon, au Sud de la France. Berceau du Fauvisme de Derain et Matisse, du Cubisme de Picasso, du Surréalisme de Dali, des enfants du pays Catalan : Maillol et Rigaud.
e-taqafa : Le voyage a-t-il tracé ce parcours ?
Abdelkhalek Belfquih : Depuis tout jeune, la curiosité m’a conduit à marcher des dizaines de kilomètres en observant la nature. Dans mon pays natal, le Maroc, j’ai pu effectuer de multiples séjours à travers toutes les villes et les douars, de Tanger à Dakhla. J’ai dirigé bénévolement des ateliers de recherches picturales, sous les tentes, escorté par les Forces Armées Royales (FAR), au profit des jeunes, d’Errachidia, Ouarzazate, Tata, Agadir, Guelmime, Tan-tan, Tarfaya, Smara, Laayoune, Boujdour et Dakhla. Parfois même sous les tirs des mercenaires du Polisario. Avec les jeunes issus des provinces sahariennes marocaines, j’ai passé plus d’un an près de Laayoune sous les tentes, j’organisais des ateliers, au camp de l’union (Al Wahda), encadré par la Minurso. En traversant les mers et les océans, je suis resté ébahi par les cimes des hauteurs européennes, les lacs Suisses, les places des artistes et les théâtres français, à Java, le mont Karakatau et l’art du Wayang Kulit, le Passar Seni, le parfum du clou de girofle qui envahit l’espace public…
e-taqafa : Quelles sont les rencontres qui vous ont marqué ?
Abdelkhalek Belfquih : Tout jeune, j’ai découvert que près de chez moi à Sidi-Kacem, était né le premier artiste abstrait du monde arabe, Jilali Gharbaoui. À l’Institut Royal de Rabat, j’eus la chance d’apprendre les arts appliqués par le formateur à l’école chérifienne du Palais Royal, Naji. Ma formation d’animateur socio-culturel et ma carrière pendant plus de vingt ans, s’est faite sous la direction de l’un des artistes marocains pionniers : Issa Ikken. Jean-Bertrand Sire m’a permis l’ouverture vers de larges horizons, passant de la nature au produit matérialisé, allant vers la scénographie. Mais surtout l’exploration du sens entre la poésie du Hai Ku et la calligraphie. En France, j’ai découvert une dimension contemporaine de la calligraphie arabe chez l’artiste irakien Hassan Massoudy, ce qui a renforcé mon attachement à mes racines. Estéban Castaner critique et professeur d’Histoire de l’art m’a soutenu dans mes recherches universitaires autour de l’œuvre et du voyage d’Eugène Delacroix au Maroc .
e-taqafa : Votre démarche est particulière, pourquoi ce choix ?
Abdelkhalek Belfquih : The Callipainting est une formule conjuguée au pluriel : une formule qui s’explique par ces principes : mes convictions du droit à l’expression libre ; la poésie est la forme linguistique la plus expressive, occupe tous les espaces des objets de création ; le sens des mots résume les sensations ; la concentration est le fond spirituel ; la contraction pousse … pousse à l’abstraction des formes et des couleurs ; le travail est abouti par le jet d’une forme poétique calligraphiée.
e-taqafa : La paix est votre thème de prédilection, quel message transmettez-vous dans cette exposition ?
Abdelkhalek Belfquih : L’arbre est fécond s’il a des racines ancrées au sol. Je suis persuadé que si on est conscient de notre origine, qu’on sait d’où on vient, on saura où on va ? À partir de ma culture et de mon éducation, basée essentiellement sur les principes de l’amour, la tolérance et surtout la paix = SALAM, je suis convaincu que la terre est Humaine et que tous les Humains doivent vivre en paix, malgré la vague obscurantiste qui nourrit la haine et le terrorisme.
e-taqafa : Une exposition virtuelle pendant le confinement à l’ère du coronavirus, comment la vivez-vous ?
Abdelkhalek Belfquih : J’ai quitté la France le 20 février 2020, en direction de mon atelier au Maroc, afin de préparer mon exposition en collaboration avec La Fondation HASSAN II pour les Marocains Résidant à l’Etranger (Espace Rivages – Rabat). Depuis le 17 mars 2020, début du confinement, je ne bouge plus de ma résidence-atelier. Je continue à vivre cette expérience humaine, exceptionnelle et historique. Actuellement, je vis l’idée d’une exposition virtuelle pendant ce prolongement du confinement, comme une thérapie, pour chercher la paix en moi.
Propos recueillis par Fatiha Amellouk