Ses créations retentissent. Elles résonnent de l’intérieur et refusent toute subordination. Par ce mouvement omniprésent par association et assimilation, Cherradi pratique un acte transitionnel qui trouve sa source dans la spiritualité. Si Kandinsky représente la spiritualité dans l’art par une pyramide, les créations de Cherradi surprennent par leur dynamisme, par ce mouvement qui jaillit dans un foisonnement profond.
e-taqafa : Vos toiles vibrent par le mouvement tantôt vertical et tantôt horizontal, d’où vient ce dynamisme ?
Najib Cherradi : Je pense qu’il y a toujours des lignes de force dans un travail artistique et ces lignes sont importantes parce que l’œil les repère immédiatement et facilement car elles sont omniprésentes, claires et nettes. Nous avons des lignes verticales qui suggèrent la hauteur, la rigidité, elles évoquent les notions de force, de dignité et aussi de vérité puisqu’elles sont issues de l’idée de divinité. Les lignes horizontales, par contre, évoquent le calme, le repos et la tranquillité. Elles représentent l’horizon, la zone de démarcation, entre le terrestre et le céleste et en même temps elles créent un effet de profondeur. Il ya aussi les lignes obliques et les courbes qui donnent une impression de dynamisme positif ou négatif, pour moi ce mélange, ces lignes horizontales, verticales et aussi les courbes se rejoignent pour créer ce dynamisme.
e-taqafa : Qu’en est-il du mouvement circulaire sur d’autres toiles ?
Najib Cherradi : L’homme s’incorpore le mouvement créatif du cosmos, chaque fois que nous tournons et faisons des rondes, nous intensifions nos énergies intérieures. C’est par le mouvement de tout notre corps que la voie de la spirale peut devenir réelle. Par exemple l’origine du mot « tawaf » veut dire atteindre le sommet en tournant en spirale. C’est de là que vient toute la dynamique du cercle.
e-taqafa : Le but du mouvement circulaire des derviches pendant la cérémonie du sama est de s’approcher de la connaissance de Dieu, est- ce le même but pour vous mais pour « s’approcher de soi »?
Najib Cherradi : Quand l’art rencontre la spiritualité je pense qu’il ne s’agit pas seulement de révéler, d’expliquer ou d’exprimer son intériorité mais cette rencontre est en elle-même une composante de notre expérience de vie. C’est un voyage continu, un questionnement qui ne s’arrête pas en creusant dans tous les sens sans jamais s’arrêter pour s’approcher du devenir de l’être.
e-taqafa : Les fréquences du Non – Lieu, qu’évoque ce titre pour vous?
Najib Cherradi : C’est un titre composé de deux parties d’abord fréquences et là je parle de la fréquence de la respiration, du mouvement, du rythme et du renouvèlement. Il y a une autre idée qui me semble intéressante dans la fréquence ce sont les vibrations sonores qui engendrent en elles l’imprévu qui rappelle la vie et ses facettes. La deuxième partie c’est le non -lieu, c’est le lieu intérieur, du non pensé, du non-dit, l’absence qui se trouve entre l’être et le non être. Sentir ce non-lieu c’est sentir ce contact distant. La sensation commence du vide et se termine quand elle atteint le vide. Le non- lieu est pour moi un lieu de rêve situé entre l’absence et le vide.
e-taqafa : Vous diversifiez également les techniques et les matériaux : papier japonais, contreplaqué…pourquoi ?
Najib Cherradi : Je pense qu’il faut chercher plusieurs possibilités, plusieurs techniques et d’autres matériaux et ne pas se contenter de ce que nous avons l’habitude d’utiliser et ceci pour soutenir cette quête perpétuelle et aussi tenter de répondre à des questionnements, d’avoir plus de liberté de choix et d’expérimenter pour enrichir la démarche artistique.
e-taqafa : La juxtaposition des couleurs proches forme une harmonie dans certains tableaux tandis que dans d’autres la présence de certaines couleurs crée un contraste, est-ce l’expression des émotions qui est à l’origine de ce changement ?
Najib Cherradi : Ce n’est pas uniquement l’expression des émotions qui est à l’origine de ces choix ce sont des processus qui dépendent aussi des moments de la création. L’artiste est en contact permanent avec son environnement ce qui influence sa perception. Il ne se s’agit pas d’opter pour une palette et de l’adopter pour toujours mais il y a le côté psychique, l’inconscient…beaucoup de facteurs complexes sont à prendre en considération et qui sont surchargés de beaucoup d’émotion. Difficile de les déterminer, je laisse libre cours à plusieurs possibilités, je cherche des ouvertures, je cherche « al baten » : le fond, selon les termes des soufis.
e-taqafa : Travailler sur la perspective des tableaux, est-il important pour vous notamment pour les créations récentes?
Najib Cherradi : La perspective est une base. Je cherche la perspective invisible qui se trouve derrière le visible. C’est toujours dans la même démarche : chercher d’autres possibilités, alimenter la quête omniprésente et qui est le moteur de la recherche. Un processus qui demande beaucoup de temps, peut- être toute une vie en gardant toujours le plaisir de suivre ce cheminement.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Najib Cherradi : C’est une belle occasion, c’est extraordinaire d’être au Maroc. L’Espace rivages me donne cette possibilité, je suis très reconnaissant. Ceci me permettra de renouer le contact avec l’œil du public marocain et avec le milieu culturel marocain. Je suis toujours prêt à partager avec ce public ma façon de sentir, d’expérimenter et de créer c’est ce qui m’intéresse. Au Maroc, je suis dans mon pays. Je vis à l’étranger mais je respire le Maroc même en étant loin. Je renoue et je suis là, je participe à la vie artistique du Maroc avec les autres artistes marocains. Je remercie l’Espace Rivages et son équipe qui ont travaillé énormément pour me permettre cette occasion.