Pour sa première expérience dans l’écriture, Driss Tahi a choisi de traiter un phénomène sociétal qui l’a touché dès son jeune âge. Son premier roman « Du Haut du Balcon », paru aux éditions Les Infréquentables, dénonce les conditions difficiles dans lesquelles vivent les femmes suite à la mort ou à la disparition d’un proche. Le roman déplore l’injustice qui caractérise la vie des femmes, généralement délaissées à un âge avancé ou qui sont condamnées à finir le reste de leur vie seules et en situation de précarité.
Rencontre avec Driss Tahi.
E-taqafa : Sur quelle expérience votre réflexion a été basée avant de procéder à l’écriture du « Du haut du balcon » ?
Driss Tahi : Ce sont certains faits saillants de l'histoire récente du pays qui sont à l'origine de ma réflexion et c'est aussi leur intensité et leurs retombées sur la société qui m'ont poussé à écrire ce roman. Appartenir à la génération de l'après indépendance et être témoin de certains événements ayant jalonné l'histoire du pays, comme les disparitions arbitraires d'opposants ou des participants à des manifestations durant les années de plomb... Mais ce qui avait toujours le plus retenu mon attention, ce sont ces femmes dont on ne parlait jamais ou presque. Des femmes qui s'étaient trouvées brusquement dans une situation difficile. Entraînées dans une recherche labyrinthique vaine, en quête de la moindre information sur un proche. Des femmes qui ont vécu parfois un calvaire beaucoup plus grand que celui des victimes disparues elles-mêmes.
E-taqafa : Pourquoi c’est la femme qui est au cœur de votre problématique ?
Driss Tahi : Ça remonte à l’enfance, nos mères ou les voisines étaient des femmes au foyer, présentes du matin au soir à la maison et ne s'éloignaient que rarement du quartier. J'avoue que déjà à cet âge je m'intéressais à leur conciliabule sur les problèmes de leur quotidien ; le mari difficile, volage ou violent etc. Tout m’intriguait, surtout lorsqu'il s'agissait de personnes âgées vivant seules. A mesure que le temps passait et sans m'en rendre compte je me suis pris à mon propre jeu, au point que ma curiosité me poussait à tout faire pour en savoir toujours plus sur ce qui faisait souffrir ces femmes y compris ma mère bien sûr, tout en essayant d'en apprendre davantage et à mesure que je mûrissais, mon empathie à leur égard grandissait aussi. C'est sûrement à partir de là que mon intérêt pour leurs problèmes quand elles sont seules et âgées, la souffrance qu'elles endurent, est né et s'est développé.
E-taqafa : Concrètement, quelle est l’utilité littéraire de revenir aux années 40 à 80 pour parler d’un problème toujours persistant ?
Driss Tahi : D'abord c'est dans l'espoir que de telles horreurs ne se reproduisent plus. Et pour ne pas oublier surtout. Etant natif de Derb soltan et c'est à Casablanca que j'ai passé la plus grande partie de ma vie. C'est aussi dans cette ville que presque les plus importants faits historiques d'avant et d'après l'indépendance ayant secoué le pays se sont déroulés. Il faut dire que dans chaque famille il y avait un témoin ou une victime prête à en parler. Mais avec le temps on a tendance à ne garder du passé que l'essentiel, qui est relaté à travers les historiens et les récits des uns et des autres, alors que les détails et certaines images quoique choquantes sont importantes et peuvent mieux marquer les esprits du lecteur. C'est là justement qu'intervient le rôle du romancier et de la littérature.
E-taqafa : A quel point la succession de faits fictifs et réels vous a servie pour la transmission de votre message ?
Driss Tahi : J'ai créé à travers une histoire imaginaire des personnages que j'ai mis en scène en les associant à des faits historiques réels sur des lieux qui existent réellement. Des personnages fictifs auxquels les gens peuvent facilement s’identifier, du vraisemblable, de la fiction réaliste en quelque sorte, pour inviter le lecteur à une immersion dans ces moments importants de l'histoire de Casablanca et du pays. J'ai toujours cru que de cette façon je réussirai à sensibiliser les lecteurs.