Interview avec Ahmed El Falah

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Ahmed El Falah

Le théâtre d’improvisation repose sur plusieurs aptitudes et compétences, dont la création instantanée, l’imagination, la mise en forme spontanée... La réussite d’une représentation improvisée passe par une capacité d’associer au même temps deux actes, à savoir : la création et la production. Ahmed El Falah, comédien, metteur en scène et fondateur du collectif Rassif  revient sur ce choix professionnel, mais également sur les thématiques qu’il privilégie pour véhiculer ses messages et provoquer des émotions chez le spectateur.  Rencontre avec l’artiste !

E-taqafa : Qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’envie de faire le théâtre d’improvisation ?

Ahmed El Falah : C’est plus qu’une simple envie. C’est un besoin. Le théâtre était pour moi un exutoire, un espace dans lequel je peux m’exprimer, expérimenter, me tromper, mettre en avant ma fragilité, l’assumer et broder autour pour la transformer en objet théâtral. Quand on est jeunes, on a besoin de s’exprimer et d’être écouté(e)s. Le théâtre m’a offert cette possibilité.

E-taqafa : Selon vous, quelles sont les qualités à posséder pour exercer ce métier ?

Ahmed El Falah : La qualité première d’un.e comédien.ne est la sincérité. Il faut se connecter à tout ce qui est authentique en nous. Quand on est sur scène ou devant la caméra, nous portons un message, un engagement. Nous racontons la vie d’un personnage auquel plusieurs personnes s’identifieront. Par respect à ces gens, il faut que chaque émotion soit vraie. Que chaque réplique soit bien choisie même quand elle est improvisée.    

E-taqafa : Les questions de genre sont bien présentes dans votre dernier spectacle On est mâl(es), pour quelle fin ?

Ahmed El Falah : On est mâl(es) est un spectacle qui explore la thématique des masculinités toxiques en déconstruisant les clichés liés au genre. En tant qu’artistes, nous ne pouvions pas faire semblant de ne pas voir cette corde qui se sert chaque jour autour de nos cous. Les inégalités liées au genre sont des injustices fondamentales et structurelles de nos sociétés et il faut se donner les moyens de les dénoncer. Il ne faut rater aucune occasion de parler des masculinités toxiques et si les opportunités se font rares, il faudra les inventer. C’est la raison pour laquelle nous avons créé ce spectacle. 

E-taqafa : D’où provient l’origine de ce choix de sujet ?

Ahmed El Falah : Chez le collectif Rassif, nous sommes très connecté.e.s aux sujets de sociétés. Notre quotidien et celui de nos concitoyen.ne.s est notre principale source d’inspiration. En observant notre société, de prêt comme de loin, l’inégalité est la couleur qui domine. Parmi toutes les inégalités qui empoisonnent notre quotidien, celles liées au genre restent les plus visibles et les plus choquantes. C’est de cette observation que ce spectacle est né.

E-taqafa : Quels sont les préjugés que vous voulez déconstruire ?

Ahmed El Falah : Ce spectacle s’attaque frontalement aux préjugés liés à un type de masculinité que le patriarcat a confectionné pour nous.  A des standards qu’il faut remplir pour être ‘’un vrai homme’’ : Un homme ne doit pas pleurer, un garçon ne joue pas à la poupée, un homme ne participe pas aux tâches ménagères…On est mâl(es) déconstruit aussi les clichés liés aux rôles des hommes et des femmes dans la société et au sein de la famille.

E-taqafa : Quels sont les fondements de votre approche critique ?

Ahmed El Falah : Même s’il y a encore beaucoup de travail à faire, la question des discriminations et des violences envers les femmes commence à être abordée par de nombreux acteurs. Néanmoins, dans ces approches, on néglige souvent de parler du poids des stéréotypes sur les hommes et comment cela affecte leur comportement envers les femmes. Si un homme a été enfermé depuis l'enfance dans un rôle qui affecte son rapport avec les femmes et le fait lui-même souffrir, il est essentiel de dénoncer ces mécanismes et de contribuer à libérer la société de ces stéréotypes

E-taqafa : Quelle est la particularité de votre public ?

Ahmed El Falah : C’est un public qui pense venir voir de l’improvisation et qui est surpris par l’innovation de notre approche et par les critères de qualités qu’on met dans nos créations. Le public est habitué à des formats d’improvisation légers, sans mise en scène, sans création lumière et sans accompagnement musical. La particularité de notre public c’est qu’il cherche à voir un spectacle de théâtre, improvisé ou pas, de bonne qualité et qui porte un message fort traité d’une manière créative.

E-taqafa : Quelle est la place de la musique dans votre spectacle ?

Ahmed El Falah : C’est un élément d’improvisation à part entière, la musique permet de mettre en scène, illustrer et parfois rendre certaines improvisations plus percutantes. La musique permet de véhiculer les émotions jusqu’au spectateur.

E-taqafa : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Ahmed El Falah : Le problème qu’on rencontre c’est qu’il n’y a pas beaucoup de possibilités de financement. Jusqu’à présent on n’a pas l’intérêt des institutions culturelles qui préfèrent continuer à ‘’aider’’ des artistes plus ‘’confirmé.e.s’’. Nos spectacles ont des coûts de productions à la hauteur de nos ambitions artistiques, et c’est difficile pour nous de trouver des subventions ou des producteurs.trices prêt.e.s à co-produire nos spectacles.

L’autre problème qu’on rencontre c’est qu’il y a peu de gens formés pour jouer ce genre de théâtre. C’est difficile de trouver un vivier pour s’investir dans cette démarche.

E-taqafa : Quels souvenirs gardiez-vous du spectacle « Virus » ?

Ahmed El Falah : Dans ce spectacle qui racontait une perte de mémoire, nous avons réussi à garder quelques souvenirs. Virus est  pour nous un spectacle d’exploration dans lequel on s’est permis de commettre des erreurs pour apprendre. Mais on garde un souvenir de la  cohésion des gens qui se sont engagés dans cette aventure. C’est un spectacle que j’ai créé dans ma chambre parisienne pendant la pandémie et que j’ai vu grandir d’une représentation à une autre. Virus est le souvenir de notre première réussite collective.