Inclassable, touche à tout, le cinéaste et écrivain Hicham Lasri investit actuellement tous les fronts. Entre 7e art et littérature, il ravive la mémoire et l'Histoire dans « The Sea is behind », nouveau long-métrage présenté à la Berlinale et publie « Sainte Rita », romance urbaine qui dissèque et questionne la complexité féminine.
e-taqafa : Comment êtes-vous venu au cinéma ?
Hicham Lasri : Par manque d’images, je suis un enfant des années 80, un enfant de la télévision qui commence à 18h et se termine à 23h30, de deux films par semaine comme rendez-vous sacrés, même si les films sont coupés, censurés, charcutés. En découle, tout un espace de rêve et d’imagination à combler par sa propre soif d’image. J’ai eu la chance d’avoir un père mordu de Comics, les fameux « Strange » qui ont biberonnées mon enfance et m’ont donné autant le goût du découpage, du Storytelling, de la culture Pop.
e-taqafa : Parlez-nous de votre nouveau film « The Sea is behind » présenté à la Berlinale... Comment a-t-il été accueilli par le public et la profession berlinois?
Hicham Lasri : « The Sea Is Behind » est le récit d’un troubadour contraint de rebrousser chemin pour marcher sur les ruines de sa propre vie. C’est une fable sur l’étrangeté de ce monde, sur sa sauvagerie, sur son manque de cœur. C’est un récit chorale sur les artistes de la H’dya, qui ont disparu du paysage car la société subit une glaciation émotionnelle qui rend insupportable la vue d’un homme grimé en femme pour animer les processions de mariage. On peut parler d’un film sur l’étroitesse d’esprit qui gagne nos sociétés.
Film de Hicham Lasri - The End
e-taqafa : Il a été tourné en noir et blanc... Votre fascination pour cette forme est-elle liée à Bresson ?
Hicham Lasri : Non, le choix du noir et blanc est lié à mon envie de créer une « bulle narrative » l’invention d’une distance entre le récit et le spectateur, proche d’un film expérimental. Et puis, sans chercher à spolier le film, l’absence de couleur est une idée narrative motrice.
e-taqafa : C'est important pour vous d'être fidèle à une équipe de comédiens comme Hassan Badida, Malek Akhmiss, que vous qualifiez de troupe théâtrale...
Hicham Lasri : Ce n’est pas une question de fidélité, mais de sillon à creuser en tant que « partenaires créatifs ». Chaque film est pour moi, une aventure essentiellement humaine à la fois foutraque, joyeuse offrant surtout la perspective de se retrouver encore et encore pour d’autres aventures et d’autres trous dans mon ignorance à combler…
e-taqafa : Auteur prolifique, vous venez déjà d'achever un nouveau tournage à Casablanca, ville que vous affectionnez particulièrement...
Hicham Lasri : J’aime l’idée de ne parler de mes projets qu’une fois bouclés. On peut appeler ça superstition. Mais pour moi, je n’aime pas l’idée de faire un « Buzz » et rajouter mon nom au concert de mouches qui grésillent tout autour de nous en ces temps de cacophonie collégiale et sympathique.
e-taqafa : Comment est né l'idée de votre dernier roman « Sainte Rita » (éd. Fennec) ?
Hicham Lasri : D’une envie de littérateur, c’est un récit qui m’a pris au trip et j’ai été presque obligé de le sortir de mon corps comme un exorcisme. Après, il y a aussi l’envie de tester une manière d’écrire qui s’approche du Cut-up, du collage textuel et cette irrépressible envie d’inventer des images mentales en travaillant au corps l’abondance de moyens d’information (internet, écrans prédominants, réseaux sociaux, communication permanente, communicabilité éteinte) et comment tisser un récit né uniquement des flux de conscience de trois personnages principaux : en jouant avec la musicalité et le flow de chacun.
e-taqafa : Pourquoi avoir choisi d'y évoquer l'homosexualité féminine ?
Hicham Lasri : Je trouve toujours intéressant l’idée d'évoquer des histoires qui sont de pures inventions : raconter une histoire de femme était à mes yeux, un challenge très stimulant. Ensuite, je voulais en faire une histoire abrasive dont la partie la moins « polémique » est le travail sur l’idée d’homosexualité.
e-taqafa : Aujourd’hui, que vous inspire le succès retentissant de « C'est eux les chiens » récompensé par une pluie de prix aux quatre coins du monde inscrit dans la révolution actuelle des films à petits budgets ?
Hicham Lasri : Rien. C’est juste une ligne dans mon CV avant les prochaines.
Propos recueillis par Fouzia Marouf