Grand succès de la Quinzaine des réalisateurs, « Rate me » court-métrage de Fyzal Boulifa, a remporté le prix Illy, meilleure distinction pour la forme brève. Réalisé par ce cinéaste d'origine tangéroise, vivant à Londres, ce film à la cadence d'un jeu vidéo mêle les genres et suit les pas d'une jeune prostituée londonienne. Déjà en 2012, « The Curse » son précédent film tourné à Chichawa dans la région de Marrakech avait été récompensé à Cannes par le même prix. Fyzal Boulifa, représentera le Maroc au 68e Festival du Film de Locarno lors de la section « Open Doors » du 8 au 11 août 2015.
e-taqafa : Comment êtes-vous devenu cinéaste ?
Fyzal Boulifa : En fait, avant de devenir réalisateur, j'étais critique cinématographique. Cela me sans doute sembler étrange comme parcours. Issu d'une famille d'immigrés marocains arrivés en Grande-Bretagne, mes parents travaillaient dans le domaine de l'art et de la créativité, activités dès lors, peu favorisées. Aussi, il m'a fallu beaucoup de temps pour me rallier à l'idée de faire mes propres films de façon sérieuse : tourner était plus d'un passe-temps. J'ai alors évité de passer par une école de cinéma et j'ai juste commencé à créer. Je voulais toucher à tout et finalement, on m'a offert l’opportunité de tourner des annonces médicales et de sensibilisation pour les jeunes. Ce n'était évidemment pas très excitant mais cela m'a permis de travailler au sien d'une équipe professionnelle. Puis, je n'ai pas cessé de faire des courts-métrages remarqués et récompensés par des festivals, habituellement en France, au Royaume-Uni, susciter un vif intérêt a créé une certaine dynamique autour de mes premiers films.
e-taqafa : Quelle était votre enfance à Londres ?
Fyzal Boulifa : En fait, bien que je me considère comme Londonien, en y ayant vécu durant 14 ans, j'ai grandi à Leicester, une petite ville située au nord de Londres. Je n'ai pas grandi avec des liens forts liés au Maroc et mes parents ont divorcé quand j'étais très jeune. Grandir en Angleterre, surtout à cet endroit n'est pas la même chose que grandir comme marocain en France :les principales communautés minoritaires, étaient pakistanaises - à ce moment à Leicester, la plupart des gens n'étaient pas en mesure de vous dire où le Maroc se situe. Ma mère avait beaucoup souffert, lors de son enfance au Maroc et elle ne voulait pas revenir. Ainsi, j'ai vraiment eu le sentiment de grandir avec un mystère et beaucoup de choses non dites que je devais apprendre à l'âge adulte, car elles ne m'avaient pas été révélées, enfant.
e-taqafa : Aujourd'hui, c'est important pour vous de tourner au Maroc et pourquoi ?
Fyzal Boulifa : Absolument, faire un film ici est une façon d'explorer mes racines, de m'y reconnecter et d’apprendre. Je sens l'importance de la place du Maroc dans le monde : ancré entre tradition et modernité, situé entre l'Afrique et l'Europe, entre l'islam et la laïcité, c'est un territoire unique, fascinant et fertile pour des histoires vitales et indispensables. Mais nous avons besoin d'autocritique et d'esprit de réflexion, démarches importantes afin que ces récits prospèrent et évoluent.
e-taqafa : Que vous inspire la sélection de « Pagan Magic », votre projet de long-métrage retenu dans la section « Open Doors » du 68e Festival du Film de Locarno du 8 au 11 août 2015 ?
Fyzal Boulifa : " Open Doors " est une incontournable initiative destinée à enrichir les projets de jeunes cinéastes en germe en Afrique, ayant sélectionné des scénarios issus du Maroc, d'Algérie, de Tunisie et de Lybie. La langue de tournage est celle du pays représenté, il s'agit d'une première, cela fait douze ans que l'Afrique n'y figurait pas. Cette nouvelle session incarne une réelle opportunité de rencontrer des professionnels, producteurs, hommes et femmes du 7e art et représente une excellente occasion de développer l'idée de mon premier long-métrage intitulé " Pagan Magic" : cette histoire évoque le destin d'une femme de chambre et d'un enfant marocain travaillant pour une famille européenne dans les années 60. Elle recourt à la magie noire pour améliorer sa situation suivies de conséquences inquiétantes. « Open Doors », va aussi m'aider à trouver des fonds, ce qui va me permettre d'écrire le script complet. Ce sera mon premier long métrage tourné au Maroc, des prix comme celui offert par « Open Doors » sont incroyablement important.
e-taqafa : Quelle est la genèse de « Pagan Magic » ?
Fyzal Boulifa : Comme mon court-métrage « The Curse » , il m'a été inspiré par les histoires racontées par ma mère à propos de son enfance marocaine. Elle travaille comme femme de ménage, très jeune âge car elle n'avait pas de père. Mais, encore une fois, comme à travers " The Curse ", mon intention est de ne pas reconstruire la réalité, mais dire qu'elle correspond à une sorte de fable sombre, presqu' un conte de fées , qui parle de problèmes très humains : faits universelles liées à la condition humaine . « Pagan Magic » est pour moi, un grand défi.
e-taqafa : Vos origines marocaines sont importantes, avez-vous le souhait de vivre au Maroc ?
Fyzal Boulifa : Oui. C'est plus que jamais mon intention : passer plus de temps au Maroc afin d'y reconstruire de solides bases Cela va me demander un certain temps, mais je suis certain que la meilleure façon sera de le faire à travers la réalisation de films.