Du fait de son histoire naturelle complexe, étayée par sa configuration structurale exceptionnelle, le Maroc a réussi à déployer, malgré sa situation zonale plutôt aride et saharienne, tout l’étagement bioclimatique méditerranéen. Le spectre des écosystèmes ratisse très large, depuis le saharien et l’inframéditerranéen, jusqu’au perhumide et au montagnard glacial. Bien évidemment, les proportions sont très inégales.
L’étage méditerranéen humide et subhumide n’y représente que moins de 10%, concernant les montagnes bien exposées des régions septentrionales, et même, dans une petite mesure, les plaines du NW, ouvertes sur l’Atlantique.
Le semi-aride caractérise les paysages humains les plus typiques. Il s’agit du Maroc méditerranéen profond des plaines et plateaux agricoles, étalé sur près de 35% du territoire national.
Les espaces arides à hyperarides sont largement représentés. Ils accaparent plus de 55% du pays, même si l’hyperaride marocain ne répond pas authentiquement aux normes sahariennes extrêmes, comme elles se réalisent dans les Tanezrouft du Sahara algérien central, notamment à l’W du massif de l’Ahaggar.
Le caractère poignant des sécheresses est néanmoins partout présent. La panne pluviométrique laisse planer son spectre jusque dans l’humide régional, et constitue une menace permanente.
Cependant, il est extrêmement appréciable de réaliser que, dans un contexte général où le Sahara n’est jamais bien loin, on puisse bénéficier de précipitations moyennes annuelles qui arrivent à totaliser, dans les situations les plus favorables, les 2 mètres d’eau, voire à les dépasser ; avec encore une proportion neigeuse substantielle qui intervient assez régulièrement, tous les ans, à partir de 1500m d’altitude. La manne en masses neigeuses les plus considérables, recouvre les vastes morphologies de plateaux du Moyen Atlas occidental et central. Elle est remarquablement abondante, lorsque ses limites inférieures affectent les massifs karstiques jusqu’à près de 1000m d’altitude, agissant copieusement sur les sources et le réseau hydrographique de surface. C’est supposé de bon augure pour une excellente campagne agricole, ajoutant à l’effet retard des distributions hydriques karstiques, celui des renforts gradués des fontes des neiges.
Certaines années, l’enneigement peut affecter, en plus des massifs montagneux habituels, les plateaux steppiques étendus du Maroc Oriental intérieur. L’événement climatique temporaire accroît les rigueurs thermiques extrêmes de ces contrées, opposant alors vigoureusement des hivers glaciaux aux étés torrides.
Disposition de l’amphithéâtre forestier national
La forêt marocaine est majoritairement une ressource montagnarde. La montagne, d’abord organisée en château d'eau, apparaît également, pour l’essentiel, comme un grand domaine préférentiellement sylvo-pastoral.
C'est encore largement le cas actuellement dans le Rif humide, occidental et central, avec une prédilection prononcée pour la forêt, lorsqu’elle n’est pas concurrencée par le défrichement illicite, trop fréquemment pratiquée, ou par des formes d’érosion très actives, telles que le ravinement et la solifluxion à grande échelle.
Le Moyen Atlas est également une montagne forestière de qualité supérieure par rapport à toute la montagne de rive S de la Méditerranée. Elle souffre, néanmoins d’un immense déséquilibre aux dépens du Moyen Atlas Oriental, qui contient pourtant les massifs culminants de la chaîne, d’ailleurs quasiment les seuls de ce volet de la montagne à héberger des forêts de qualité, comptant des cédraies. En fait, même le Moyen Atlas Occidental, aux forêts certainement les plus denses du pays, développe curieusement de vastes surfaces asylvatiques, que les vents, saisonnièrement glaciaux, ne sauraient expliquer de façon satisfaisante.
Le Haut Atlas apparaît déjà comme une montagne relativement sèche, hormis certaines allures d’abondance qui agrémentent le Toubkal, qui en est le massif le plus élevé, et éventuellement les chaînons du Haut Atlas Oriental, autour de la Haute Moulouya, qui bénéficient d’un puissant enneigement annuel. Globalement, la chaîne présente un versant N, relativement boisé, en opposition très nette avec un versant S assez aride, qui annonce, de ce point de vue, le caractère assez désertique, à la végétation rare et spécialisée, de l’Anti-Atlas.
D’autres massifs forestiers de moindre importance, essentiellement de chêne vert et de thuya, meublent variablement la moyenne montagne au N du Maroc Oriental, ou le Plateau Central, en direction des aires forestières assez exceptionnelles des plaines côtières atlantiques. Ces forêts de bas pays sont, pour les plus remarquables, de chêne-liège dans la moitié N du pays, d’arganier, plus ou moins mêlé de thuya, au S, ainsi que d’acacia raddiana sur les franges sahariennes.
Le Maroc forestier (Zaki, 1999)
Le potentiel forestier est le référentiel de vitalité du pays tout entier
L’inventaire forestier national diverge beaucoup, notamment selon le sort qu’on fait aux matorrals fortement dégradés, à la steppe piquetée d’arbres d’acacia raddiana, et aux steppes pures d’alfa. Le tout-venant compris, on pourrait estimer l’aire totale de la végétation pérenne à près de 9 670 000 hectares. La forêt proprement dite n’y représente pas plus de 60%. Sur la carte, elle semble redessiner les reliefs notables du pays, dont, pour l’essentiel, l’amphithéâtre montagneux ouvert sur l’Atlantique. De même, les nappes alfatières s’étalent, pour la majorité écrasante de leur extension, sur les hauts plateaux, arides et à thermométries extrêmes, de l’Oriental. Enfin, pour éviter de donner aux formations d’acacia raddiana, qui ne seraient dans le meilleur des cas qu’une sorte de savane arborée, la fausse apparence d’un tissu végétal continu, elles ont été représentées en figurés individuels éparpillés.
Les principales essences forestières peuvent être aussi commodément réparties dans leurs aires bioclimatiques en utilisant le climagramme des étages bioclimatiques méditeranéens, du perhumide au saharien, ayant Q (coefficient pluviothermique de L. Emberger) pour ordonnée, et m pour abscisse. La formulation de Q est égale à 1000 P/M+m/2 (M-m) ; P représente la moyenne annuelle des précipitations en mm, M et m, respectivement, la moyenne des maxima thermiques du mois le plus chaud, et la moyenne des minima thermiques du mois le plus froid.
Correspondance entre les étages du climagramme pluviothermique de L. Emberger (Emberger, 1955) et les aires des principales essences forestières du Maroc (Mhirit, 1999)
Il apparaît que le spectre climatique concerné est extrêmement large.
Certaines essences ou associations, telles que le chêne vert, le chêne-liège, l’oléo-lentisque ou les thuyas – genévriers, s’étalent bien dans l’espace méditerranéen, constituant les matériaux de fond les mieux adaptés, et les biocénoses les plus stables.
D’autres semblent plus marginales, requérant des conditions particulières, aux extrémités du spectre. Ce sont, d’une part, le cèdre, le sapin et les chênes caducifoliés, qui relèvent assurément de registres nettement plus tempérés. D’autre part, des essences telles que les majeurs arganiers et acacias, sont plutôt d’affinités tropicales.
La végétation forestière du fond méditerranéen le mieux adapté
Le chêne vert est, au Maroc, l’arbre de presque toutes les situations montagnardes. C'est là que la notion du "chêne vert, ciment des forêts marocaines" peut-être la mieux démontrée (Emberger L., 1939). Quasiment ubiquiste, il est souvent partenaire du cèdre dans les positions privilégiées, lui permettant de jouer ses meilleurs rôles, ainsi que des genévriers, déclinés en trois espèces pour couvrir toute la montagne, et mieux la protéger. Le chêne vert devrait gagner en reconnaissance, afin de conforter son rôle de ciment vivant universel de la végétation ligneuse dans toute la montagne marocaine. C'est souvent techniquement parfaitement possible. L'espèce est toujours, de loin, la plus présente de toutes. Elle possède une très grande plasticité. Elle développe, de même, des qualités peu communes de résistance à la dégradation. Seule le dessouchage en vient à bout.
Chêne vert dense du Moyen Atlas surmonté de cèdres (Mardaga, 1999)
Parfaitement adapté aux Atlas, le chêne vert a un faciès sec et un autre humide.
Le premier descend jusqu'aux 300mm des thuyas et genévriers rouges. Il arrive même à se mêler à l'alfa, dans les dépressions semi-arides sévères et les versants E et S de la montagne, sous les modestes moyennes de 250mm de pluies.
Sur les versants N, le plus beau faciès s'épanouit continûment dans l'étage subhumide du Moyen Atlas, depuis Taza jusqu'à la Tessaout, où il se soude aux massifs forestiers du Haut Atlas qui se prolongent à leur tour vers l'Atlantique. Ce faisant, il peut se présenter en massifs purs, comme il semble aussi avoir vocation de suppléer aux défaillances des autres essences ou alors de les accompagner, pour certaines, jusqu'au cœur de leur aire de prédilection.
C'est ainsi que non seulement il présente ses plus belles futaies monospécifiques dans le Moyen Atlas, naguère beaucoup plus vastes mais exploitées à blanc, dans ce qu'elles avaient de plus précieux, du fait de la demande inconsidérée de la guerre mondiale, mais elles accompagnent aussi bien le cèdre jusque dans l'humide, atteignant des précipitations de 1200mm.
Le chêne vert, calcicole en France (Quercus ilex) par exemple, est largement indifférent aux substrats au Maroc. Dans les Atlas, il pousse néanmoins plus rapidement sur substrats calcaires que sur grès ou schistes du Trias ou du Paléozoïque. Son indifférence édaphique ajoute à sa plasticité, et justifierait une différenciation taxonomique spécifique. Bien qu'il ait une aire de répartition mondiale, allant de l'Himalaya au Maroc, il semble donc gagner en spécificité dans cette partie occidentale de son large foyer, justifiant la dénomination propre en Quercus rotundifolia.
Enfin, le chêne vert supporte nettement moins les enneigements excessifs que le cèdre ou le genévrier thurifère. Il faudrait peut-être dire que, mieux que ces deux arbres des grandes altitudes, plutôt continentales chez nous, il admet la douceur des ambiances océaniques.
C’est ainsi que dans sa progression sur les versants atlasiques, d’E en W vers l'atlantique, il a d’abord abandonné le cèdre, puis le genévrier thurifère. Dans la forêt des Seksaoua, au-dessus d’Imi-n-Tanoute, il profite de l'absence du genévrier des hautes altitudes, pour atteindre le niveau des 2900m, record spécifique, nulle part atteint ailleurs.
Globalement, si le chêne vert est à coup sûr l'arbre de tous les sauvetages, il n'a pas seulement besoin d'être mieux soigné, mais également de considérer son utilisation comme outil d’amendement, au long cours, des espaces dégradés. Il est bien sûr habilité à être l'essence principale des homogénéisations dans le versant N, mais il faudrait en faire également, avec les autres essences xérophiles, et dans toute la mesure du possible, l'arbre des réhabilitations dans les versants à orientations continentales, E et S, des Atlas, qui en ont le plus grand besoin.
Enfin, il y a des proportionnalités intéressantes à méditer pour tout travail de faisabilité des restaurations ici réclamées. Avec près de 1 400 000ha d’étendue nationale, le chêne vert représente approximativement le quart des forêts marocaines proprement dites. Les Atlas, à eux seuls, en possèdent plus des deux tiers; et pourtant, ils en auraient perdu plus de la moitié, essentiellement du fait de dégradations multiformes, d'origine anthropique.
Le thuya de Berbérie (Tetraclinis articulata) est certainement le vétéran de la flore forestière méditerranéenne marocaine, et reste, presque au même titre que l’oléastre, un des éléments fondateurs et typiques des paysages naturels du bas pays semi-aride. Astreint aux basses altitudes, généralement bien inférieures à 1500m, il a été confronté à la difficulté de survivre aux défrichements dans l’espace rural principal du pays agricole traditionnel. Cependant, il a beaucoup moins souffert de la concurrence des campagnes cultivées que l’olivier sauvage, réduit à des reliques sans envergure, notamment par la force de son précieux cultivar oléagineux, recherché de tout temps. Le thuya continue, néanmoins, à marquer sa zone, en gardant parfois des massifs substantiels, le plus souvent d’ailleurs en basse montagne assez aride, de même qu’en s’insinuant dans des vallées escarpées ou en débordant dans les bas pays sous-utilisés, ou aux conditions édaphiques trop pauvres pour soutenir d’autres usages que la forêt xérophile.
On s’en tenant à l’essentiel, il est possible de relever quatre ensembles remarquables.
C’est ainsi que le thuya persiste assez abondamment sur le versant méditerranéen, relativement sec, du Rif, où il structure, d’ailleurs, un espace protégé dans le massif littoral des Bokkoya, dit Parc National d’Al Hoceima (PNAH), situé à l’W de la baie d’Al Hoceima. Avec ses compagnons secondaires, tels que le pin d’Alep (Pinus halepensis), le lentisque (Pistacia atlantica), l’oléastre (Olea europaea), le caroubier (Ceratonia siliqua), le chêne kermes (Quercus coccifera) ou le palmier nain (Chamaerops humilis), il élabore la stratégie de défense de versants excessivement vulnérables à l’érosion.
Un deuxième ensemble forme l’essentiel des espaces boisés, relativement contigus, du Rif Oriental et du pli des Beni-Snassen, tous deux face à la Chaîne de Jerada et de Debdou, au N des immensités steppiques alfatières des Hauts Plateaux de l’Oriental. Sans être interchangeables, le thuya et le chêne vert se partagent les rôles, et se complètent, pour donner à ces régions arides, des paysages forestiers, ici limités évidemment, mais parfois somptueux, et agréablement surprenants.
Un autre ensemble existe encore dans le Maroc Central, où il organise la végétation dans le haut bassin du Sebou, confiné au centre du Moyen Atlas, et qui tente de joindre les grands massifs forestiers nationaux de chêne vert et les principales cédraies du pays.
D’autres paysages de thuyas sont remarquables dans le Plateau Central et la Meseta atlantique. Ils sont arrangés en lambeaux étirés le long des vallées encaissées, et se partagent l’espace avec le chêne vert, le chêne-liège et ce qui reste d’oléo-lentisque.
Enfin, un dernier ensemble s’éparpille utilement, parmi une végétation remarquable, souvent endémique, qui contrôle encore les paysages, autour de la retombée atlantique du Haut Atlas, depuis le pays d’Essaouira, voire de Safi, jusque dans l’Anti-Atlas. Cette végétation, souvent héritée, diverse et originale dans ces extrémités réputées sèches, appartient à la grande famille, assez spéciale, des biomes des îles de l’Atlantique Oriental, dits macaronésiens, et qui s’étalent de l’Archipel des Açores, au N, à celui des Iles du Cap Vert, face au Sénégal, en passant par le littoral SW du Maroc. Ici, le thuya assure les joints difficiles entre le chêne vert, en montagne relativement humide, à l’étage plus littoral investi par la végétation macaronésienne, en position infra-méditerranéenne, faite, dans ses éléments repères, d’arganiers et d’euphorbes. À ce niveau, le thuya assure remarquablement son rôle d’agent biotique thermoméditerranéen, au-dessus de l’exceptionnel arganier.
Avec le genévrier rouge (Juniperus phœnicea), le thuya contribue à fixer efficacement les dunes, normalement vives, qui tapissent la baie d’Essaouira. Les deux essences sont, d’ailleurs, à l’origine de l’une des activités principales de la région. Le bois dur, et agréablement parfumé, rappelant les senteurs du cèdre, a donné une ébénisterie de grande qualité, gratifiant la cité d’une réputation méritée.
Une grande forêt de thuya de plaine, au N d’Essaouira
A travers les âges, l’aire de répartition du thuya a beaucoup régressé. Mais, grâce à ses qualités exceptionnelles de reproduction, de résistance, de bonne santé et d’aptitude à la restauration, ainsi que du fait de son utilité artisanale et médicinale, qui en font une essence recherchée et entretenue, il occupe toujours la première place, en tête des forêts de conifères (gymnospermes) du Maroc. Sa couverture naturelle, encore en vigueur, est de près de 600 000ha.
En francophonie, le thuya a deux appellations vernaculaires. Il est indifféremment dit de Barbarie ou de Berbérie, dénominations, de toute évidence, de formulation externe et déséquilibré. Les deux reconnaissent à l’espèce, néanmoins, un label géographique d’origine sans ambages. Maintenant, si on essaie d’affiner cette question de label, tout en simplifiant les discussions d’écoles pour sa classification, le thuya serait un arbre endémique de genre de Méditerranée sud-occidentale. Plus simplement dit, il s’agirait d’une essence appartenant à une espèce unique, d’un genre unique, n’existant que dans un milieu géographique individualisé et unique. En fait, l’affectation géographique ratisse trop large pour une espèce qui, en dehors du Maroc, Algérie, Tunisie, et très accessoirement de la Libye, n’existe qu’à titre anecdotique dans le SE espagnol et sur l’île de Malte. Par conséquent, même si la République de Malte en a fait son arbre national, cela reste très largement un élément maghrébin, et mériterait l’appellation thuya du Maghreb, ici proposée, avec une mention spéciale pour le Maroc qui en possède, à lui seul, plus des ¾ de l’effectif mondial tout entier.
Les genévriers sont les chargés des missions difficiles, dans certaines des parties les plus rigoureuses du pays. Ils se chargent, d’abord, d’épauler le chêne vert sur tout son parcours montagnard. Mais, ils font mieux en en fermant la marche, tout à fait en haut des cimes, et là où aucun autre arbre ne peut prétendre monter, juste au contact des steppes froides du méditerranéen glacial asylvatique, où ne poussent plus que les xérophytes épineux en coussinets. Ils font également tout juste l’inverse, en chaussant le chêne vert dans les piedmonts les plus secs, et jusque sur les rivages des mers. Il n’en a pas fallu moins de trois espèces du genre pour assurer toutes ces fonctions, soit de bas en haut le genévrier de Phénicie, le genévrier oxycèdre et le genévrier thurifère, sur une surface résiduelle, très affaiblie par l’usage inconsidéré, et qui n’est plus actuellement que de l’ordre de 320 000ha.
- Le genévrier de Phénicie (Juniperus phoenicea), dit aussi genévrier rouge, accapare près de la moitié de l’espace qu’occupe dans le pays l’ensemble du genre. Il est, en quelque sorte, l’acolyte bénéfique du thuya. Les deux sont gymnospermes, à caractère xérophile accusé, possèdent la faculté, assez rare parmi les résineux, de rejeter de souche, ce qui leur permet de résister davantage aux mutilations les plus graves. La ressemblance est telle que les populations dites riveraines, les confondent volontiers dans le même nom (aaraar). Les genévriers rouges ont pourtant la plus value de supporter des conditions climatiques et édaphiques plus rigoureuses.
Ils paraissent notamment plus à l’aise sur les dunes côtières vives, aux sables particulaires, qu’ils arrivent à mieux fixer que le thuya. Pour cela, la sous-espèce Juniperus phoenicea ssp lycia semble parfaitement adaptée à des positions particulières de littoral sableux, égrenées le long des côtes maghrébines. Dès que l’on passe vers l’intérieur à des substrats plus stables, à cimentation calcaire, notamment par l’encroûtement, le thuya réapparaît en force.
Cependant, dans des positions plus nettement continentales, dans les bas versants des Atlas tournés vers le S et l’E, et donc à aridité plus marquée, le thuya est à nouveau relayé par le genévrier rouge, mais cette fois par un faciès de montagne continentale, souvent exposée au Sahara. Dans ces conditions très difficiles d’aridité et de chaleur, J. phoenicea apparaît comme la meilleure garantie biotique contre la désertification (Boudy, 1950). D’ailleurs, au fur et mesure que l’on s’enfonce dans le continent sec, il semble tenter de remédier au surcroît d’aridité en grimpant en hauteur, sans reculer devant le froid saisonnier, et ce, jusqu’à plus de 2000m dans le versant S du haut Atlas, et même à plus de 2400m, là où le relief le permet dans la partie culminante du Saghro.
- Le genévrier oxycèdre (Juniperus oxycedrus), pourtant doué d’une grande plasticité, n’apparaît presque jamais en peuplements purs et continus d’une quelconque importance. Il semble traverser, avec la même aisance, plusieurs étages bioclimatiques, mais toujours en ordre dispersé, jusqu’à près de 3000m d’altitude (Benabid et al., 1999). Même s’il est plus nombreux à grossir les rangs du chêne vert, il se trouve mêlé aussi bien au thuya et genévrier rouge, plus bas, qu’aux cédraies assez près des sommets. Il s’accommode, par conséquent, autant du semi-aride que de toutes les nuances saisonnières du subhumide.
Malgré ce qui apparaît comme une excellente adaptation individuelle à tous les milieux méditerranéens, on n’arrive pas à cerner les qualités d’un éventuel peuplement homogène au G. oxycèdre. C’est certainement un chantier à envisager.
Genévrier oxycèdre dans le Haut Atlas (Mardaga, 1999)
- Le genévrier thurifère (Juniperus thurifera) devrait être reconnu au Maroc comme un arbre d’utilité publique.
Dans le reste du Maghreb, il a une existence tout à fait balbutiante dans l'Aurès algérien, en pieds disséminés au milieu de cèdres, eux-mêmes menacés. Tout le reste se trouve exclusivement au Maroc, soit quelques 30 000ha, partagés à égalité entre les deux Atlas. Il se rencontre entre 1800 et 3000m d'altitude, succède au cèdre et au chêne vert, mais ne devient presque exclusif qu’au-dessus de 2500m. Il marque l'arrêt de la végétation forestière, avec des précipitations forcément inférieures à 800mm, souvent même à 500mm, dans des ambiances claires et de froid rigoureux, supportant quasiment les minimums absolus enregistrés à l’échelle nationale, soit -25°C !
Il est réputé n'exister que de façon éparpillée, en crête ultime au-dessus des cèdres ou mêlé à leurs faciès les plus secs, ou accroché dans des situations topographiques difficiles. Il serait de même actuellement inapte à la régénération. En fait, tout cela s'explique par ce qu'il est fort recherché par l'homme. On lui connaît, en effet, des massifs assez serrés dans le Haut Azzaden, et surtout cette extraordinaire forêt d'El Haouanet à Aït Daoud Ou Ali, dans le Haut Oued El Abid, où le peuplement est formidable et la régénération encore parfaitement possible.
Il est absolument impératif de procéder à un plan efficace de protection du genévrier thurifère. L'arbre, beau et puissant, était intensivement exploité pour soutenir les toits et supporter l'étage. En fait, le béton en a soulagé progressivement l'usage. Mais, l'arbre est bien sûr encore activement utilisé comme bois de chauffe, et il devient surtout excessivement difficile de lui trouver la moindre jeune pousse du fait du pâturage, qui préfère de beaucoup les tendres pousses au coriace sous-bois de chaméphytes, prémunies par leur aptitude à luter contre la morsure du froid. De nouvelles prospections ont trouvé des spécimens à 3450m d'altitude (Ouhammou A., 2000). Ne serait-ce que pour ces raisons, El Haouanet et le massif du Toubkal, notamment, devraient être constitués en sites protégés, et envisager une inscription sur la liste du Patrimoine Mondial.
Approximation de l’extension originelle des forêts ultimes de haute montagne: thuriféraie éparse du Haut Atlas central (Mardaga, 1999)
Si le genévrier thurifère est une réelle providence, étant la seule forêt possible pour la haute montagne, froide et relativement sèche, le genévrier rouge, ensemble avec le genévrier oxycèdre, encadrant et renforçant les forêts de chêne vert, sont de véritables tabliers de protection contre les rigueurs du climat et leurs effets érosifs en versant N.
Par contre, en versant sud du Haut Atlas notamment, exposition où le chêne vert devient exceptionnel, les deux genévriers des extrêmes, G. rouges à partir du bas, et G. thurifères des sommets, arrivent à convergence. Il leur incombe, à eux deux seuls, d’assurer les équilibres naturels des montagnes sèches qui n’ont plus de recours forestier qu’aux genévriers.
À une échelle altitudinalement plus réduite, le chêne-liège, lui-même comme le chêne vert, un feuillu du genre Quercus, tente, à son tour, de joindre, sous son ombre, la plaine à la montagne.
- Le chêne-liège (Quercus suber) occupe une superficie de plus de 370 000ha, un peu plus élevée que celle de la masse de tous les genévriers, mais avec une prédilection pour la moitié N du pays, thermiquement assez douce. Les principaux massifs existent dans le Rif Occidental, le Plateau Central et la Meseta Occidentale dont la Maamora est la plus connue. Sa présence est nettement de moindre envergure dans les Atlas, même si les petits peuplements, probablement les plus humides de tous, peuvent y avoir belle allure, avec des individus vénérables.
L’espèce se maintient certainement du fait de son intérêt économique. Le pays détient quasiment le 1/6 de la superficie mondiale des subéraies. Il en tire surtout du liège, avec des rendements inférieurs à la moyenne mondiale, d’ailleurs presque entièrement destiné à l’exportation. L’activité pastorale à l’intérieur des subéraies est considérable, mais non convenablement organisée et puissamment déprédatrice. Le gland doux est systématiquement ramassé et compromet la régénération spontanée des forêts. Ces inconvénients, ajoutés à une longévité naturelle assez courte, ne dépassant normalement pas les deux siècles, obligent à entreprendre des campagnes annuelles de reconstitution et de sauvegarde.
D’autres activités génératrices de revenus sont en rapport avec certains sous-produits tels que le miel en particulier, la collecte de plantes aromatiques et médicinales (p. a. m.) ou celle des champignons, spécialement les truffes. Les ressources cynégétiques donnent lieu à une importante activité de chasse. Les incendies, en partie en rapport avec ces différentes interventions, détruisent plus de 3000ha par an, pour l’ensemble de la forêt marocaine, le chêne-liège en étant une des principales victimes.
Le chêne-liège est endémique de la partie occidentale du bassin méditerranéen, en milieu édaphique acide. Au Maroc, il développe deux faciès assez distincts.
Un faciès thermoméditerranéen, anormalement sec pour l’essence, exceptionnel dans l’aire de répartition globale, pouvant se satisfaire de précipitations aussi faibles que 400mm, sous réserve de l’appoint en humidité atmosphérique que procure la proximité de l’océan. Les massifs considérés sont parmi les rares existants encore en basses altitudes. Les plus secs sont représentés, en grand, par la Maamora, pourtant considérée comme la plus vaste subéraie d’un seul tenant au monde. Sa position dans le voisinage immédiat du plus grand axe urbain du pays est certainement une chance pour les citadins, notamment de Kénitra à Casablanca, mais c’est, avec tous les empiètements agro-pastoraux et la villégiature entre autres, l’occasion pour un mitage insistant et perpétuel de la forêt. La surface actuelle en est de 60 000ha, soit le tiers de ce qu’elle a pu être à l’origine, et assurément moins de la moitié de ses 130 000ha de forêt effective, encore observable et comptable juste au milieu du siècle dernier ! Transformer la Maamora en un espace réellement protégé, selon les normes modernes du développement durable, telles que pratiquées dans les réserves de biosphère, est une urgence qui ne saurait attendre sans menace imminente de disparition intégrale.
De plus, et ce n’est pas le moindre des dangers, rien ne pourrait s’opposer à ce que son substrat de sable siliceux, ainsi libéré, ne devienne un réservoir éolisable à merci pour agresser l’axe urbain à chaque fois que se lève le chergui, vent estival suffocant de secteur E.
Gauche :Chêne-liège de plaine, au-dessus de la culture de théier, Forêt de Larache. Droite : Chêne-liège, Forêt au pied de Chefchaouen
Le faciès humide exige au moins 600mm de pluies, et s’épanouit en montagne, jusqu’au plus humide qu’un milieu méditerranéen peut fournir, à condition d’éviter un froid trop rigoureux, ce qui semble toujours possible dans la chaîne rifaine, aussi bien à l’W qu’au centre. Cependant, pour opulentes qu’elles soient, ces forêts n’échappent pas aux dégradations anthropiques. Celles, en particulier du Rif Central, depuis longtemps ravagées par la monoculture du cannabis ou « kif » (Cannabis sativa), ont été en grande partie détruites par le feu, et investies par les cultures soporifiques, au marché mirobolant. C’est dans ces parages, que l’on trouve actuellement les badlands les plus spectaculaires pour illustrer les paysages d’érosion, ainsi que pour démontrer qu’un site naguère fécond et éclatant de verdure, peut se transformer en une terre noire, rongée par le ravinement, le temps d’une simple vie humaine. Dans la taxonomie pédologique vernaculaire, ce sol qui n’en est pas, fait d’éclats tranchants de schistes sombres, éclatés par les intempéries et par la bêche, s’appelle ferrich. On en espère encore la plus maigre des moissons d’orge.
Au pays Ghomara, dans la grasse et belle montagne de Chefchaouen, l’état des lieux est, pour de multiples raisons, encore tout à fait convenable. Le faciès de subéraie humide y a gardé presque toute sa signification. Il parvient à meubler toutes les ambiances favorables jusqu’au perhumide, dont les précipitations moyennes annuelles peuvent atteindre et même dépasser les 2000mm. La forêt est évidemment nettement plus dense que dans le faciès sec de la Maamora, et le sous-bois, riche et abondant, substitue, notamment, aux sobres lentisques (Pistacia lentiscus), les fruits juteux de l’arbousier (Arbutus unedo) qui parsèment saisonnièrement les sentiers des promeneurs, et égayent la forêt de leur rouge orangé.
Un air d’abondance naturelle aurait débordé à partir de la zone tempérée
À ce niveau des facteurs climatiques, le milieu naturel ne requiert plus les caractères d’adaptation à la sécheresse des chênes dits sclérophylles, si utiles au chêne-liège, comme d’ailleurs, du même groupe, le chêne vert, ou le beaucoup moins représenté chêne kermès (Quercus coccifera), dans leurs écosystèmes normalement arides ou semi-arides. La subéraie, ainsi que ses congénères, sont alors progressivement remplacés par certaines essences de l’abondance. Il s’agit des chênaies à feuilles caduques, du cèdre et même du sapin. Tout se passe comme si on avait basculé dans le monde envié du tempéré.
Les chênaies caducifoliées ont développé, en particulier, le chêne zeen et le chêne tauzin.
- Le chêne tauzin (Quercus pyrenaica) est une essence caducifoliée qui n’existe que dans les quatre pays du SW européen et dans le Rif, et nulle part ailleurs. Les localisations semblent indiquer, malgré une aire nationale réduite, de près de 5000ha, et peut-être même de ce fait, le sens et la direction des passages possibles des essences d’Europe vers le Maghreb, lors des glaciations eurasiatiques qui ont jalonné le Quaternaire.
C’est une biocénose des milieux humides à perhumides, de densité record, qui intervient en moyenne montagne assez douce, et requiert des sols acides, frais à longueur d’année. Elle est, par contre, facilement rattrapée dans son milieu, par des essences beaucoup moins exigeantes telles que le chêne-liège, ainsi que par l’ubiquiste et envahissant chêne vert.
Chêne tauzin dans le Rif Central (Mardaga, 1999)
Le chêne zeen (Quercus faginea) est le principal chêne à feuilles caduques du Maroc, occupant près du double (≈ 9100ha) de l’espace couvert par Q. pyrenaica dans le pays. C’est l’essence forestière qui rappelle le mieux les formations tempérées, comme le suggère d’ailleurs le nom scientifique, qui fait référence au hêtre, arbre emblématique de la zone tempérée. Il l’est par la richesse de son port, l’importance de sa taille, la première de notre liste qui dépasse les 20mètres, et peut en atteindre 30, ainsi que par les composantes hydrologiques et pédologiques des écosystèmes qu’il structure.
Chêne zeen au-dessus d’une tourbière dans le milieu perhumide du Rif Occidental (Mardaga, 1999)
Site dégradé d’une zénaie, complètement érodé dans le Rif
Ce serait la période coloniale qui aurait donné le coup de grâce à la forêt marocaine. Les tenants de l’irréversibilité du processus, menant à terme à l’anéantissement total de la végétation naturelle pérenne, pourraient, à juste titre, estimer qu’un plancher de masse critique de la forêt nationale avait été alors atteint, privant la nature du pays de tout ressort de reprise positive. Différents événements européens ou mondiaux, impliquant les deux puissances coloniales concernées, semblent en avoir été la cause.
On pourrait en citer :
- La dégradation profonde, liée à la destruction systématique des plus belles futaies des zénaies du N en particulier, dont le bois, précieux à plus d’un titre, a été débité en traverses pour soutenir les rails lors de l’expansion du chemin de fer espagnol.
- Les forêts du Centre et des Atlas, tout particulièrement les plus belles réserves de chêne vert et de cèdre, ainsi que celles du S, avec l’arganier, ont été mises à contribution et décimées pour soutenir l’effort de guerre, lors de la IIème Guerre Mondiale en particulier.
- La construction des vastes quartiers européens, mis en opposition à toutes les médinas, a certainement mobilisé des ressources en bois considérables, en une vague fébrile, entraînant un stress inédit sur le potentiel national, impossible à satisfaire, tout d’une traite, par les biomes fragiles de nos ambiances méditerranéennes de rive S.
Les vestiges actuels des zénaies, montrent que l’essence n’était pas rare en milieu suffisamment humide. On en connaît dans le Rif, le Moyen et le Haut Atlas.
- Le cèdre de l'Atlas (Cedrus atlantica) est encore assez largement marocain, puisque, avec plus de 130 000ha, le pays en possède près de 85% de l’effectif global. Le petit reste des représentants de l’espèce se trouve en Algérie, et d'ailleurs généralement de faciès sec et en difficulté, voire menacé d’extinction. La Tunisie n'a pas les altitudes requises pour en posséder. Les autres cédraies dans le monde appartiennent à d'autres groupes. Les Atlas marocains contiennent plus de 90% de la répartition nationale de l’espèce C. atlantica, méritant ainsi d'en être le site éponyme. Là où il est bien portant, comme sur les substrats siliceux du Rif central, ou dans le Moyen Atlas central profitant des influences océaniques, il a belle allure, les sujets les plus élancés peuvent atteindre les 50m de hauteur. Fournissant actuellement l’essentiel de notre bois d’ébénisterie, et à travers l’histoire, les pièces majeures des établissements les plus prestigieux, il est convenu de le considérer comme un bois précieux et une essence noble.
Cèdre de l’Atlas (Mhirit et al, 2006)
Aguelmam Azegza, dans le Moyen Atlas au-dessus de Khénifra. Le cèdre est corollaire d’abondance en eau (Mardaga, 1999)
Le cèdre intervient dans nos montagnes, entre 1600 et 2400m d’altitude, lorsque les étagements permettent le subhumide et l'humide froid. Le patrimoine national se répartit en trois blocs de tailles inégales : le Rif central, l’espace majeur du Moyen Atlas, aux destinées contrastées d’W en E, et le carré limite du Haut Atlas Oriental. Il est normalement assez dépendant de l'humidité de ses étages de prédilection, qui fournissent entre 850 et 1200mm de précipitations, pour des conditions optimales, assez largement débordées sur le terrain ; comme il paraît assez largement indifférent aux types de sols. Il est néanmoins relativement rétif aux substrats carbonatés.
Dans le Moyen Atlas Central, où il déploie les plus belles futaies, il compense largement l'ingratitude des substrats dolomitiques, et donc carbonatés comme la plupart des substrats atlasiques, par les conditions climatiques, particulièrement adéquates à son tempérament. Cependant, il vient remarquablement mieux sur les beaux sols, gras et profonds, développés sur le basalte du Quaternaire.
Il domine les taches de chêne zéen, requérant normalement des conditions assez douces, telle la zénaie presque pure de Jaaba, sur le plateau d'El Hajeb. Il fait bon ménage avec le chêne vert, qui lui rend de précieux services, mais qu'il finit par dépasser en altitude, où il se déploie en peuplements purs puisqu'il supporte mieux les enneigements massifs. Plus haut encore, si possible, il se mêle au genévrier thurifère. Celui-ci continue à grimper seul, pour fournir la limite supérieure de toute forêt, et passer, selon les cas, aux xérophytes épineux, pelouses, ou amas rocailleux de débris de gélivation.
Le faciès plus sec de la cédraie, qui se suffit d’une pluviométrie inférieure à 700mm, vient correctement dans le S du Moyen Atlas et rejoint le Haut Atlas des Jebel Ayachi et Maasker notamment. La plus méridionale des cédraies souffre néanmoins de sérieux problèmes de régénération. Le Parc National dit du Haut Atlas Oriental (PNHAO), immédiatement au S du Jebel Maasker, en contient les toutes dernières stations vers le S, avec comme vocation d’en assurer la persistance et, si possible, la restauration (MAMVA, 1992).
Il serait alors opportun d'instruire des mises à jour serrées et soigneuses concernant ce front universel de la cédraie ! D’ailleurs, deux autres parcs nationaux ont été rajoutés pour parfaire la conservation du cèdre, cette fois dans son domaine d’épanouissement maximal : le P. N. d’Ifrane, en 2004, a été labellisé en même temps que le PNHAO, et le P. N. de Khénifra, créé en 2008, date à laquelle le P. N. d’Ifrane, jugé de taille insuffisante, a été étendu. Il ne serait pas exagéré de parler d’acharnement à tenter de sauver l’espèce, tellement la spirale destructrice paraît réelle et irrésistible.
En effet, le cèdre est partout convoité, d’abord en tant que bois précieux, ensuite, dans son domaine, en tant qu’espace montagnard, beau et sain, recherché comme offrant des sites de vie de qualité exceptionnelle. Il y a donc une puissante demande externe, étrangère aux besoins des populations dites riveraines, qui demande plus d’organisation et de transparence, et qui est certainement, pour beaucoup, dans son recul. On considère que les espaces que le cèdre continue à couvrir de nos jours ne sont peut-être plus que le quart (1/4) de ce qu'ils ont été par le passé.
La bonne venue du petit reboisement qui en a été fait, par exemple, dans l’Oukaïmeden, entre le Toubkal et le Haouz de Marrakech, bien loin de ses terres habituelles, prouve qu’il est permis d’envisager, avec un certain optimisme, une réhabilitation du cèdre à une échelle assez significative.
Cependant, on commence à sérieusement douter, à commencer par les forestiers eux-mêmes, de l’efficience des espaces protégés classiques, tels qu’ils ont toujours fonctionné un peu partout dans le monde, armés qu’ils sont de leur attirail de recettes technicistes, reproductibles sous tous les cieux, d’interdictions légales et de fils barbelés. Sans exception susceptible de faire école, les résultats de ce type de conservation ont été décevants, voire contreproductifs. C’est pourquoi, face aux mises en garde insistantes contre une extinction inexorable du cèdre, le Maroc est sur le point de présenter la candidature d’un territoire englobant près de 80% des cédraies du pays, justement dans leur contexte atlasique le plus élargi possible, pour l’obtention du label Unesco de Réserve de Biosphère du Cèdre de l’Atlas. L’intérêt de la formule est qu’elle ne vise pas juste la conservation de la nature pour elle-même, dans la hantise permanente des empiètements par les ayants droit. Au contraire, une réserve de biosphère s’occupe d’abord du développement socioéconomique des populations locales. L’approche exige la concertation démocratique ; elle est dite participative. Elle prend en charge les soins et les mesures de développement à apporter à la forêt comme d’un simple rouage du développement régional intégré, réalisé dans la foulée et pour le bien durable des communautés locales.
D’autre part, le cèdre devrait gagner en soins et en estime, lorsqu’on sait, qu’au même titre que les chênes caducifoliés, il constitue un legs précieux, cédé par l’histoire naturelle universelle. Le film des événements archéobotaniques lui découvre un ancêtre lointain, apparu au N du continent européen dès le Mésozoïque (Beaulieu, 1973 ; Pons, 1998). Il peut être suivi à la trace, par glissement de sa zone bioclimatique vers le S, jusqu’au Maroc où il s’acclimate, envoie des représentants en Algérie, s’établit durablement, gagne en endémisme, et choisit de ne plus retourner en Europe, d’où le genre tout entier a, progressivement puis définitivement, disparu.
Le sapin aurait fait un pèlerinage comparable avec d’autres incidences.
- Le sapin, de notoriété publique, fait référence à un arbre caractéristique du tempéré et du froid, ce qui semble bien loin de nos ambiances maghrébines subtropicales. Le sapin du Maroc (Abies marocana) est pourtant l’une des trois grandes structures floristiques marquantes de la montagne du NW, qui se trouve être, avec un taux de boisement supérieur à 40%, la région la plus forestière du Maroc. D’extensions très inégales, des îlots de sapins et de chênes caducifoliés baignent dans un fond général de chêne-liège. Le sapin du Maroc est donc non seulement une réalité géographique nationale, mais, il s’agit en plus, d’une espèce parfaitement endémique. C’est, d’ailleurs, avec le sapin de Numidie, également endémique d’Algérie, les seuls du genre à exister au S de la Méditerranée, pendant qu’ils sont nombreux en Europe et dans le monde.
Il s’est fait tout un débat autour de la nature des sapins des pays de la Méditerranée occidentale. La discussion est intéressante, et dans tous les cas de figure, elle indique des parentés utiles.
D’une part, il y a la position taxonomique de l’espèce fédératrice, qui serait alors le Sapin d’Andalousie, Abies pinsapo, espèce emblématique des sites les plus humides de la Péninsule Ibérique, que sont Grazalema et Sierra de la Nieves, élégants massifs de l’extrémité occidentale de la Cordillère Bétique, autour de la belle cité andalouse de Ronda. Les sapins marocains et algériens n’en seraient, par conséquent, que des variétés dépêchées sur la rive africaine.
À l’opposé, il y a la position distributive, qui a multiplié les espèces, en en faisant des endémismes. C’est ainsi que notre sapin devient l’espèce Abies marocana, en considération du somptueux massif forestier de Talassemtane, juste au-dessus de Chefchaouen, elle-même assurément la plus andalouse de nos cités, et joyau urbanistique montagnard traditionnel. On a été jusqu’à faire du petit massif de Tazaot, qui est une autre sapinaie, dans le voisinage septentrional de Talassemtane, une espèce encore distincte, Abies tazaotana. L’espèce algérienne serait, à son tour, une endémique des massifs kabyles, au S de la baie de Béjaya, agrémentée d’un qualificatif historique, Abies numidica.
Les deux positions nous conviennent, même si les ressemblances frappantes, semblent convier aux regroupements. Disons alors que les populations maghrébines de sapins pourraient être vicariantes, autrement dit, détachées d’une même origine, le pinsapo, elles auraient acquis une certaine originalité sous l’effet d’adaptations à leur milieu d’accueil, séparées de la terre mère par des barrières géographiques, ici assez évidentes.
De toute manière, il ne s’agit pour les deux populations maghrébines que de petites populations. L’espèce algérienne a une représentation quasiment symbolique, avec l’équivalent de 300ha seulement. Les deux massifs marocains développent une superficie de l’ordre de 3200ha, justifiant la création, en 2004, d’un espace protégé de près de 60 000ha, dit Parc National de Talassemtane. La précaution est utile du fait de la splendeur du site, la densité et la santé de la formation végétale, ainsi que de la belle taille des sujets, hauts en moyenne de 30mètres, et pouvant atteindre les 50m.
Pour les mêmes raisons que pour la cédraie, le Haut-commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification (HCEFLCD) du Maroc a estimé utile, de concert avec le Conseil de l’Environnement de la Junta de Andalucia en Espagne, de joindre, dans le même ensemble de soins et de vigilance, les espaces naturels des sapins, et forêts intermédiaires, dans les deux pays. En fait, pour réaliser l’intégrité nécessaire à une réserve de biosphère, il a fallu élargir l’espace des forêts, pour embrasser une partie de ce monde de civilisation remarquable et d’histoire séculaire commune, qui répond au nom prestigieux d’Al Andalus, qui a longtemps rassemblé dans son giron les deux rives. Il a été convenu de replacer les extrémités des deux continents, symboliquement et à nouveau, au sein du même espace organisationnel, évidemment sans aucun préjudice pour les souverainetés respectives, d’une Réserve de Biosphère Intercontinentale de la Méditerranée, Maroc-Andalousie (Espagne), ou RBIM.
Ce n’est rien de moins que la première réserve de biosphère transfrontalière, qui soit également intercontinentale, jamais créée. On imagine bien à quel point c’est un immense défi lancé au monde, à travers l’Unesco, que de fondre, comme il convient dans le même effort, les paris de l’environnement et ceux de la civilisation pour les résoudre. La RBIM a été labellisée en octobre 2006, dans un territoire de près d’un million d’hectares, pour moitié dans chaque pays. Les réserves de biosphère, on le sait, n’ont jamais été figées dans l’attitude conservative des espaces protégés. Elles considèrent, de plus en plus, le développement des populations locales, nécessairement présentes et agissantes, comme la clé de toute approche au terrain. La RBIM a fait mieux en signifiant qu’il n’y a jamais de durabilité pour la nature, qu’elle soit pédologique, hydrologique ou biotique, s’il n’y a pas de paix et de prospérité pour les sociétés qui y vivent.
La convergence d’allures est frappante entre individus et formations des sapins des deux rives : Abies pinsapo et Abies marocana
La mémoire d’Al Andalus, dans les deux rives. De Séville à Chefchaouen, ensemble pour des environnements durables et prospères
D’autre part, le sapin en tant qu’espèce issue du tempéré et du froid, apparaît parfaitement dans son milieu lorsqu’il occupe, au Maroc du NW, des sites en montagne au-dessus de 1500m, tirant parti de précipitations de l’ordre de 1500mm en moyenne.
En récapitulant, il y a là une forte ressemblance de port végétal et de milieu écologique avec le cèdre notamment, et, dans une certaine mesure, avec les chênes caducifoliés. De toute évidence, Il s’agit d’un cortège floristique ayant migré du N au S, depuis le froid et le tempéré humides du continent européen, jusqu’au Maghreb par le Maroc, pays qui a su élaborer ses structures géomorphologiques, et les amener à composer avec les différentes expositions maritimes, de merveilleux refuges pour ces écosystèmes plus riches (Fassi, 1999). Ces atouts auraient fonctionné à plein lors des glaciations quaternaires d’Eurasie, qui ont été puissamment répulsives pour les formes majeures de la vie. Dans ces conditions, le Maghreb, le Maroc en particulier, s’est constitué en zone tempérée. Les deux cartes d’illustration montrent comment le Maroc a été, pendant les glaciations, un havre de douceur, prêt à absorber les contingents des précieuses biocénoses, boutées hors d’Europe, et reçues en migrants de bonheur.
Gauche : Extension maximale de la calotte polaire, au cours d’une Glaciation quaternaire (Espenshade, 1986)
Droite : Schématisation des zones bioclimatiques, lors d’une glaciation quaternaire (d’après diverses sources, in Ramade, 1997)
Des espèces d’affinités tropicales sont à la base de la Civilisation de l’Aride et de la notion du développement durable
Les apports d’affinités tropicales, censément venus du S, sont certainement moins spectaculaires que ceux, de toute évidence, tempérés, venus du N. Cependant, ils sont d’utilité publique, et ont été d’un immense secours pour la réalisation et l’organisation de la vie des gens.
Une sorte de corpus traditionnel des économies de la rareté s’est progressivement construite dans le Sahara et sur ses bordures présahariennes. A travers les âges, il s’est érigé en civilisation de l’aride, constituant le référentiel scientifique et technologique de l’aménagement du plus grand désert chaud du monde. Encore, plus globalement, c’était devenu la base philosophique et déontologique de ce que le monde allait découvrir, plus tard, et nommer développement durable, avec toujours cet air de suffisance grave qu’il arbore à chaque fois qu’il réinvente la roue.
Evidemment, les sites développés par le sapin, le cèdre, et les chênes à feuilles caduques, sont absolument remarquables, et leurs régions recherchées par tous genres de tourisme, ainsi que par certaines formes de spéculation pour les initiés. Leur bois est souvent précieux, mais disponible en quantités trop limitées pour justifier leur ouvrage à grande échelle. Tout bien considéré, on estime que dans les pays où les environnements sont, à tous égards, vulnérables, les groupements forestiers encore en place devraient être investis, presque uniquement, pour assurer les fonctions essentielles. Celles-ci se proposent le bon équilibre des altérations pédogénétiques, en tout cas la protection et la fixation des sols, ainsi que la valorisation de l’eau des précipitations atmosphériques, accessoirement de fonte des neiges, par infiltration et maintien des réserves en nappes. Il est de toute façon impératif d’éviter que le ruissellement ne devienne un facteur de déstabilisation, provoquant la troncature des sols et le ravinement, et amenant la destruction des écosystèmes.
De plus, les essences rares, dans nos environnements, devraient rester en place pour assumer, à côté des services communs de conservation des eaux et des sols, et de villégiature, ce rôle qui leur est spécifique de garantie de la bonne santé des environnements originels. En effet, leur pérennité et aptitude à se reproduire sont des marqueurs de perpétuation des conditions de qualité, originellement exigées par ces essences de l’abondance, qui ne savent pas survivre dans l’indigence.
Les essences de l’aridité et de l’hyperaridité, le palmier évidemment, l’arganier et les acacias, ainsi que leurs compagnons, sont, tout d’abord des marqueurs de l’état des lieux, comme tous les témoins de la vie sur le terrain. Mais, elles sont surtout de réels artisans de la biosphère, qu’elles organisent, de toutes pièces, dans un environnement d’extrême hostilité naturelle.
- L’arganier (Argania spinosa) est, avant tout, constitutif d’une forêt, en milieu aride où personne ne l’attendait. Pourtant, dans notre liste, le thuya et le genévrier rouge, tous deux arbres du semi-aride, semblaient avoir clos les potentialités forestières des environnements méditerranéens ; et, au-delà des Atlas, vers le S ou vers l’E, l’arbre disparaît pour céder le terrain aux steppes.
Il n’y a plus qu’en direction du SW de l’Atlas, dans l’Anti-Atlas occidental ou dans la plaine du Souss, en direction de l’océan, qu’au lieu d’avoir une steppe rase, même quand il s’agit d’une plaine aride, avec des précipitations inférieures à 300 voire à 200mm, on ait l’extraordinaire apparition d’une forêt, celle de l’arganier.
Gauche : Arganeraie de montagne, dans le versant NW de l’Anti-Atlas
Droite : Piedmont SE de l’Atlas : passage à la steppe
Arganiers et euphorbes cactoïdes : des ambiances insulaires macaronésiennes
Les formations structurées par l’arganier arrivent pour suppléer, comme par miracle, le grand effacement des biotopes méditerranéens, qui ne savent que se rabougrir, s’espacer et puis disparaître, face au gigantesque cataclysme saharien.
Pour arriver à ses fins, l’arganier appartient complètement au monde de l’exceptionnel.
Il est l’unique espèce de son genre, et ne se retrouve dans aucune autre région au monde. Son aire de répartition mondiale est alors précieuse et très limitées, puisqu’elle coïncide avec sa circonscription nationale qui est de l’ordre de 870 000ha, avec un tout petit dépassement sur le territoire algérien.
Surgi de tropiques inconnus, perdus à jamais dans les replis de l’histoire naturelle de l’Univers, il vient se planter aux premières lignes du plus redoutable des fronts de désertification qui puisse exister. Sapotacée tropicale, mais unique et étrangère aux limites sahariennes du monde méditerranéen, il se trouve ragaillardi par les brumes insulaires d’une Macaronésie toute aussi mystérieuse, et parvient encore à organiser une forêt, en bonne et due forme, avec 120mm de pluies moyennes annuelles, et incertaines.
L’arganier est pourtant l’arbre le mieux ancré dans la terre et la tradition marocaines.
- Son enracinement peut atteindre 30m d’amplitude, afin de garder contact avec la vie, quelles que soient les rigueurs du climat. C’est pourquoi, il a l’étrange faculté de quasiment se pétrifier sur pied lors des années de grandes sécheresses, pour reverdir au premier orage.
- Son enracinement est également profondément humain. C’est, plus que tout autre au Maroc, l’arbre qui a su entretenir, dans le giron de la société amazigh traditionnelle, ce qu’on n’hésite pas à appeler la civilisation de l’arganier. L’arganier est une espèce fruitière-forestière à usages multiples (M’Hirit et al, 1998). Son fruit donne des variantes d’huile, culinaires de grande qualité, mais aussi cosmétiques et médicinales, actuellement partout connues et très recherchées, et payées à des prix valorisants. C’est aussi un pâturage aérien pour les caprins, qui participent ainsi à la cueillette, sans grand dommage pour l’arbre, apparemment servi par sa grande rusticité. Les sous-produits de la presse d’huile sont un excellent aliment pour le gros bétail. Le bois, exceptionnellement dense, est utilisé pour la construction et la chauffe. Les meilleurs ragoûts, et les mets traditionnels pour les grandes occasions, dits tajines soussi, en référence à la patrie de l’arbre, gagnent toujours en qualité, pense-t-on, lorsqu’ils cuisent au bois d’arganier.
Enfin, même s’il s’agit en principe d’une forêt, l’arganeraie a sa législation propre (Dahir de 1925), indépendante de la loi forestière promulguée en 1917. Dans les faits, l’arganeraie est gérée comme un complexe de vergers, passablement privatisés même si inaliénables, soumis à l’héritage, avec même une généralisation de la tolérance pour les cultures sous les arbres.
C’est à partir du projet PCDA (Projet de Conservation et de Développement de l’Arganeraie), entrepris entre le Maroc et l’Allemagne, que l’idée de la première réserve de biosphère marocaine en date, a vu le jour. La RBA (Réserve de Biosphère de l’Arganeraie) a été labellisée par l’Unesco en 1998, sur près de 3 millions d’hectares, englobant toute l’arganeraie, non diminuée des différentes campagnes en rapport, ni des centres urbains culturels, économiques et de décision, la métropole Agadir comprise. Ce fut, certainement, l’une des toutes premières réserves de biosphère, depuis que la formule de l’Unesco a démarré ses applications en 1976, à véritablement prôner les principes du développement durable en priorité, dans l’intégrité d’une véritable région, en grandeur et complexité réelles.
Depuis lors, les idées et applications sur le développement durable ont fait leur chemin, et l’arganier, mieux valorisé et plus rentable, a gagné en prestige… Alors, on a pensé qu’il fallait s’occuper du vaste espace oasien, structuré par le palmier dattier, voisin oriental du domaine arganier, dans le but de valoriser le patrimoine dattier national, et de constituer une ceinture biotique continue contre la désertification.
- Le palmier dattier (Phoenix dactylifera) est l’une des plus vieilles espèces végétales cultivées. On aurait dû, alors, ne pas l’inclure dans notre liste, qui a recruté préférentiellement parmi les espèces forestières majeures ; c’est pourquoi l’olivier n’a justement pas été cité. Seulement, comme l’arganier, et sans doute plus directement encore, le palmier dattier assume, en prenant les oasis sous sa protection, la fonction de résister avec ténacité à la dynamique mortelle de l’ensablement. On peut donc lui accorder qu’il se comporte comme une formation végétale naturelle. Cela n’enlève rien à ses qualités en tant que producteur de services. Il est à usages multiples, au même titre que l’arganier. De sa santé et de sa bonne tenue dépend l’existence même de l’espace présaharien oasien. Les plantations subissent de nombreux stress, aussi bien physiques que biotiques. La maladie la plus dangereuse à laquelle elles se trouvent partout exposées est le Bayoud, causé par Fusarium oxysporum albedinis, un champignon qui attaque le système vasculaire du palmier (Sedra, 2001). Du fait que l’éradication du mal sur le terrain s’est avérée jusque-là impossible, il a été procédé à la multiplication in vitro de plants résistants distribués en nombre suffisant. Il semble qu’il y ait suffisamment de variétés naturellement résistantes, et de clones donnant un produit de bonne qualité, pour parvenir à remonter le handicap.
En fait, au-delà des affections fongiques et autres maladies, il y a toutes les interventions humaines modernes, dans les domaines :
- de la gestion des ressources en eau,
- des méthodes et matériaux génétiques agricoles substitués aux anciens car considérés comme plus rentables,
- des nouveaux modèles urbains,
- de l’exploitation minière, et plus globalement
- des modes de production et de consommation, qui apparaissent comme tout à fait démesurés par rapport aux moyens limités qu’offre le Présahara.
Il est bien évident que pour chaque type d’espace, l’aménagiste est en demeure d’adopter l’approche qui convient. Les zones arides sont extrêmement fragiles, et diverses quant aux raisons et dynamiques de leur fragilité.
Nos zones arides, détentrices de belles oasis, et variablement productrices de dattes et autres produits sahariens, sont pour l’essentiel dans le Tafilalet et dans le Dra, des systèmes d’oasis en chapelets, le long de réseaux fluviatiles débouchant du versant S du Haut Atlas, pour aller déverser leur manne au large du Sahara. Il s’agit de mécanismes délicats, interdépendants et extrêmement imbriqués. Les normes d’aménagement de l’espace et des ressources n’ont pas été décrétées, mais découlent d’expérimentations et d’apprentissages minutieux, qui se sont affinés à travers les âges, et en rapport avec les plus vieilles civilisations du monde, remontant jusqu’au Nil et en Mésopotamie.
À partir des années 20 et 30 du siècle dernier, marquées par l’occupation militaire étrangère de la région, les méthodes et les établissements humains ont été bouleversés, pour basculer dans la standardisation et le mercantilisme alors ambiants.
Les nouvelles formules, d’abord imposées, se sont par la suite généralisées, puis sont devenues incontournables et leurs effets irréversibles. Elles se sont avérées coûteuses et inadaptées.
- Les ksour, quartiers fortifiés d’habitat oasien, à l’architecture en terre, ont été largement désertés pour les blocs en ciment habituels, dans des structures désarticulées.
- Nombreuses sont les khettara, canaux souterrains pour l’abreuvement et l’irrigation en milieu saharien, qui ont été abandonnées.
- L’artisanat, utilisant les matériaux et le savoir-faire locaux, sont en voie de disparition rapide.
- L’exploitation minière, pas forcément génératrice de ressources pour les populations locales, est polluante et destructrice, et ne laisse rien d’utile à la région.
- On découvre après coup, que les anciens cultivars et races de bétails, étaient mieux adaptés aux sols et aux populations, et qu’en plus du patrimoine phœnicicole très varié, il reste à mieux valoriser les variétés autochtones de céréales, fourrages, légumes et fruits, ainsi que des produits comme le safran, les roses, la brebis Demmane, extrêmement prolifique, les chèvres et dromadaires... et les articles de l’artisanat local.
- Le tourisme, dont l’apport est extrêmement ambigu, doit être repensé et discipliné.
- Les barrages modernes, sans doute nécessaires, mais tels qu’ils ont été conçus à l’origine, en calibre et en matériaux, au mépris de la dynamique naturelle complètement méconnue, ont entraîné :
- l’empêchement des amendements des terroirs, dans un milieu où aucune pédogenèse naturelle n’est possible,
- une dégradation de la qualité des eaux par la concentration des sels due à l’évaporation en grand,
- le raccourcissement du réseau d’oasis,
- des tarissements de sources et de mares, et
- de sérieux changements dans la biodiversité.
Les oasis fluviatiles du Dra : un aménagement hiérarchisé
Les vagues d’ensablement et les chantiers de fixation des dunes. Concilier le travail sur les causes et la correction des effets
Globalement, tous ces événements se sont répercutés justement sur les disponibilités en eau, entraînant un rétrécissement de la zone présaharienne, et une désertification plus active.
On voit bien qu’au niveau des écosystèmes limitrophes du Sahara, il n’y a nul besoin d’invoquer une quelconque péjoration climatique, ou d’incriminer forcément les changements globaux. Dans le Présahara en tout cas, c’est, pour l’essentiel, ce qu’on pourrait pudiquement appeler erreurs humaines de gestion. Dans le cas d’espèce, ce n’est rien d’autre que cet accident de l’histoire moderne, qui a heurté une civilisation millénaire, et en a neutralisé tout l’acquis, sans ménagement.
On imagine, avec ravissement, ce qu’aurait pu être une rencontre respectueuse de la civilisation de l’aride, au début du 20ème siècle. On aurait pu bâtir dessus la plus grande philosophie de l’aménagement, en lui apportant les acquis de la science moderne, tout en en gardant l’esprit, la profondeur et la sagesse, et certainement aussi beaucoup de science et de nombreuses technologies douces.
À ce rendez-vous manqué, il y a juste un siècle, on apporte, encore, l’espoir que permet la Réserve de Biosphère des Oasis du Sud Marocain (RBOSM). En mettant bout à bout la RBA et la RBOSM, on conjugue les apports de la civilisation de l’arganier avec ceux de la civilisation de l’aride, pour que le génie des lieux, des biomes et des hommes, arrive à bout du grand désordre que porte le désert dans ses entrailles.
- Les acacias représentent certainement les espèces arborées les plus aptes à pénétrer le Grand Sahara arabo-africain, avec une certaine efficacité, depuis le Maroc jusqu’en Oman, à l’extrémité du Golfe arabo-persique. C’est l’arbre du Sahara par excellence. Il signifie la ténacité de la vie à se maintenir dans les vastes horizons désertiques, et à en soutenir celle du bétail des sociétés encore nomades, tout en confortant les remparts vivants qui protègent les oasis. C’est une légumineuse, qui vit on ne sait comment, et un pâturage salutaire. On en estime l’étendue nationale totale à plus de 1 100 000ha. L’Acacia raddiana est l’espèce la plus représentée du genre. Assez souvent les bibliographies ne donnent pas de chiffre pour son extension, car, plus encore que pour l’arganier, ses densités beaucoup trop faibles, en rendent l’énoncé totalement illusoire.
Tout au long des marges sahariennes, depuis Figuig jusqu’à Mhamid et le Bas Dra, l’acacia s’éparpille en massifs d’extensions et de densités diverses.
C’est peut-être autour Mecissi, au S du massif précambrien de l’Ougnate, entre Rissani et Alnif, et au N des grands maader, qu’on en rencontre l’ensemble le mieux préservé.
En direction du SW, l’acacia finit par rejoindre les lisières méridionales de l’arganeraie. Le relais est pris. Les deux essences tropicales vont néanmoins faire cause commune, et s’accompagner, encore pour un moment, et dans toute la mesure du possible, pour élaborer des sentiers biotiques et tenter la grande traversée du Sahara, sans trop perdre de vue les rivages atlantiques. N’est-ce pas cela la fonction principale du Sahara atlantique, que de contourner le redoutable Sahara continental absolu, en s’en tenant à ce désert atténué par les influences adoucissantes de l’Océan ? Seulement, ce qui est possible pour l’acacia n’est pas forcément dans les moyens de l’arganier.
Gauche : Paysage du S marocain à Acacia raddiana héritage d’une savane sahélienne
Droite : Les oasis face à l’ensablement
Les tamarix tirent parti des eaux salées
Les acacias et le pari biotique pour investir le Sahara (Mardaga, 1999)
Déjà, entre Bou Izakarn et Guelmim, l’arganeraie s’effiloche. À partir de Guelmim, si bien nommée porte du Sahara, il n’y a plus d’arganeraie au sens de massif forestier. Cependant, les arganiers arrivent toujours à s’organiser en processions de fortune, pour s’infiltrer par les nombreux ravins ou oueds secs, d’ailleurs souvent opportunément orientés N-S, et aller plus avant vers le désert du possible, car ouvert sur la mer. Dans ces conditions, l’arganier est dit ripicole (Décamps, 2002), autrement dit, capable de tirer profit de la petite humidité collectée par les ravins, et de s’en satisfaire en en suivant les tracés en curieuses galeries de verdure.
Le dernier colloque entre ces deux essences de l’extrême, l’arganier et l’acacia, se place dans le pays de Laayoune, au débouché de la grande vallée E-W, saharienne, de Saguia el Hamra, où l’acacia présente ses plus grandes concentrations en milieu hyperaride. Plus au S, l’acacia fait cavalier seul, avec des stations privilégiées dans les vallées sèches, les ravins, les ogla, petites dépressions fermées, souvent proches du littoral, contenant un sol et attirant quelque humidité, juste de la brume s’il le faut (Fassi, 2010).
Les derniers grands contingents d’acacias correspondent aux sillons longitudinaux, d’orientation SW-NE, alternant avec les crêtes aiguisées de l’Adrar Sottouf, dans la région méridionale extrême de Ouad Eddahab (anciennement, Rio de Oro). Atar, en Mauritanie, est juste de l’autre côté de la frontière. Ses caractères météorologiques montrent qu’il s’agit déjà d’une station tropicale. L’objectif est donc atteint ; la traversée a été réalisée.
C’est d’ailleurs dans ces paysages qu’un parc national est programmé. Il porte le nom de Parc National de Dakhla (PNDKL) (Plan Directeur des Aires Protégés du Maroc, 1992).
Son plan de gestion a deux points d’ancrage.
- Le premier est continental, et s’attache à faire de l’Adrar Sottouf et de ses écosystèmes, une réserve naturelle axée sur les arbres du désert et sur la faune saharienne, tous deux encore en place, mais dans un état avancé de dégradation. La faune jugée comme moteur majeur de réhabilitation est censée être renforcée considérablement, par les mêmes espèces, autruches, addax, gazelles…, qui sont actuellement élevées et qui prospèrent dans le Parc National du Souss-Massa, afin de donner à la vie une vraie chance pour repartir et pour s’épanouir dans les meilleures conditions possibles.
- Le deuxième point d’ancrage est maritime, et s’organise atour d’une espèce mammifère marine, ailleurs en perdition totale, et dont la dernière cellule sociale fiable a élu demeure au SW du Sahara Atlantique, dans les grottes ouvertes à l’océan, naturellement pratiquées dans la côte à falaises entre Cap Barbas et Cap Blanc. Il s’agit du phoque moine (Monachus monachus), normalement dit de Méditerranée, où il ne continue à prospérer que, de manière assistée, dans des parcs naturels marins, en Méditerranée nord orientale.
Il n’y a que dans les côtes du Sahara atlantique, dans ces lieux désormais appelés Côte des Phoques par la communauté des chercheurs, que ce qui reste en liberté de l’espèce a trouvé le site susceptible de lui garantir la masse de population nécessaire à son développement, et de manière parfaitement non assistée.
Gauche : Grottes marines du littoral du Sahara atlantique : refuge ultime du phoque moine
Drite : Le phoque moine (Monachus monachus), dans son milieu naturel (Natura, 2007)
Progressivement, le propos a glissé vers le monde animal, qui est actuellement en passe de subir le tournant que les pays du N ont connu plus tôt. Tournant grave, où l’Animal renonce, contraint et forcé, à son rôle de marqueur des écosystèmes, et médiateur de la biodiversité. Les Mammifères, en particulier, ou bien ils acceptent le pacte des domestications, voire de domesticité, lorsqu’ils sont capables de reconversion, ou alors, ils reconnaissent la loi du plus fort, et disparaissent en silence.
Lorsqu’on aura à présenter la faune marocaine, ce sera beaucoup plus rapide que cela n’a été pour les roches, les morpho-pédogenèses, les réserves hydriques, ou la végétation. Une bonne part de ce qui aurait constitué la liste des animaux d’il y a juste 50 ans, appartient déjà actuellement à l’histoire naturelle. La première moitié du siècle qui vient de nous quitter, aura englouti, en les privant de leur identité marocaine, plus d’espèces animales que n’a pu faire l’Ere quaternaire en 2 millions d’années, quelle qu’en ait été la violence des glaciations répétitives. Faut-il croire en la vertu des réintroductions de la faune sauvage ? Les expériences laborieuses avec les ours et les loups dans la montagne française permettent d’en douter.
Le monde animal, tel ce phoque moine qui croit encore à l’illusion de l’exil, et à la quiétude des grottes du bout du monde, bercées par les vagues du large, semble devoir aller jusqu’au bout de son errance, avant de se résigner à troquer ses déceptions de pèlerin contre l’anéantissement, dans l’indifférence générale. À moins de montrer patte blanche…