Cette double appartenance m'offre une perspective unique

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La lumière façonne et structure  la matière pour former des constructions à la fois rigoureuses et simples suivant un « hasard bien étudié » et une spontanéité dans le geste. Ainsi, Lamarti conçoit sa création.

Recontre

E-taqafa : Pourquoi le titre "Matière et Lumière" ?

Hafida Lamarti : Le titre "Matière et Lumière" s’est imposé à moi de manière presque instinctive. En observant les œuvres que j'ai sélectionnées pour cette exposition, je me suis rendue compte que la matière, dans ses multiples formes, joue un rôle central dans mon processus de création. Chaque texture, chaque matériau utilisé apporte sa propre identité à l'œuvre. Ǫuant à la lumière, elle transcende la matière, c’est l’élément fondamental qui révèle les formes, les volumes et les couleurs. Elle ne se contente pas d’éclairer, elle façonne l’œuvre, la structure et lui confère une profondeur unique. Ce titre n’est donc pas un choix anodin, il est le reflet d’un dialogue constant entre ces deux forces — la matière et la lumière — qui s’entremêlent dans chacune de mes créations.

E-taqafa : Comment composez-vous vos tableaux ?

Hafida Lamarti : Dans la composition de mes tableaux, je recherche une simplicité apparente qui dissimule un équilibre minutieusement étudié. Chaque forme, chaque élément trouve sa place de manière à ce que l’œil du spectateur circule naturellement dans l’espace pictural, sans être désorienté. J'accorde une attention particulière à la manière dont le fond et la forme interagissent. L'un ne peut exister sans l'autre. En travaillant sur la forme, je ne néglige jamais le fond, car ensemble, ils créent une harmonie visuelle qui invite à une lecture fluide et contemplative de l'œuvre.

E-taqafa : Les couleurs sont-elles choisies selon le thème ?

Hafida Lamarti : La relation entre mes couleurs et le thème que je traite est à la fois méthodique et spontanée. Parfois, le thème impose certaines nuances, des palettes chromatiques qui accentuent l’atmosphère que je veux transmettre. Mais il m'arrive aussi d'intégrer des couleurs de manière plus intuitive, sans être nécessairement liée au sujet. Les couleurs peuvent surgir par hasard, par un élan créatif qui échappe à toute logique. Pour moi, le "hasard étudié" est une notion précieuse. Cela signifie que je me permets d’oser et  de dépasser les conventions. Un          mur n’a pas besoin d’être blanc, il peut aussi bien être bleu, rose, rouge ou même d'une couleur inattendue. Cette liberté dans le choix des couleurs, des formes et des compositions est pour moi essentielle. Elle nourrit mon travail et m'offre une exploration infinie des possibles.

E-taqafa : Quelle place occupe la lumière dans vos créations?

Hafida Lamarti : La lumière occupe une place centrale et fondamentale dans mes créations. Je la considère comme l’élément qui structure et façonne l’objet. Sans lumière, il n’y a pas de perception possible de la forme, des volumes, ni même de la matière. Elle est ce qui permet de révéler chaque détail, chaque texture, et de créer des jeux d’ombres et de contrastes qui donnent vie à mes tableaux.

Dans mon travail, la lumière ne se contente pas d’éclairer l'objet, elle en devient un véritable protagoniste, influençant la manière dont l’œil du spectateur appréhende la composition. Elle peut rendre une scène vivante ou, au contraire, plus intime et feutrée, selon son intensité, sa direction ou encore sa couleur.

J’aime jouer avec ces différentes nuances lumineuses pour créer des atmosphères uniques, où la lumière dialogue avec la matière.

E-taqafa : Pourquoi le choix des natures mortes ?

Hafida Lamarti : Le choix des natures mortes s’est imposé à moi presque comme une évidence, mais il puise ses racines dans des souvenirs profondément ancrés. Au départ, les natures mortes évoquaient pour moi des moments doux et simples. Puis un jour, un magnolia a fleuri devant l’entrée de mon atelier, ses pétales éclatants, dans des nuances de rose fuchsia, de lilas, et de mauve, m'ont saisie. Ce spectacle éphémère, d'une beauté saisissante, m'a rappelé les hortensias qui ornaient notre jardin à Rmilat, les fleurs préférées de ma mère. Ces hortensias formaient un tableau vivant que je contemplais enfant.  Ce lien entre la nature et l’intime, entre les fleurs et les souvenirs d'enfance, a donné naissance à toute une série d’œuvres. Les « Figues », les « Figues et Fleurs » ne sont pas simplement des compositions visuelles, elles sont des réminiscences de ces instants magiques, où la beauté du quotidien s’invite dans la mémoire.

E-taqafa : Comment travaillez-vous la perspective dans vos œuvres ?

Hafida Lamarti : Le travail de la perspective dans mes œuvres est une démarche à la fois technique et intuitive. Je commence souvent par poser quelques points de fuite, des lignes fuyantes pour structurer l’espace. Mais ce canevas initial n’est qu’une base. Au fil du processus, je superpose des couches de peinture, j’ajoute des taches, des coups de pinceau ou de brosse, qui viennent parfois brouiller, voire effacer complètement les lignes de perspective d'origine. C’est alors que la couleur prend le relais. Elle devient un outil de profondeur, une façon de redonner vie à l’espace, de guider l’œil du spectateur vers des points focaux inattendus. C’est cette alternance entre la construction rigoureuse et la spontanéité gestuelle qui me permet de créer des compositions dynamiques et vivantes.

E-taqafa : Comment votre résidence en Belgique a-t-elle influencé votre travail artistique ?

Hafida Lamarti : Ma résidence en Belgique a profondément enrichi mon travail artistique. Pendant  mes études, j'ai eu l'opportunité de m'imprégner d’une multitude de courants artistiques, de techniques picturales et surtout, de me confronter à une grande diversité d’œuvres en visitant musées et galeries. Ces rencontres ont élargi mon horizon et m'ont permis de tisser des liens avec d'autres artistes. J'ai ainsi acquis un bagage culturel et artistique qui vient s’ajouter à celui que j'avais déjà commencé à forger en quittant mon pays natal. Cette expérience,  entre mon pays d'origine et mon pays d'adoption,  cette double  appartenance m'offre une perspective unique qui nourrit ma création de manière continue.

E-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l'Espace Rivages ?

Hafida Lamarti : Cette exposition à l’Espace Rivages révèle pour moi une signification particulière. Exposer ici, au Maroc, entourée de ceux qui me sont chers, est une source de grande fierté. C’est l’occasion de partager le fruit de mon travail avec ceux qui connaissent mon parcours, mais aussi avec un nouveau public. Cette exposition individuelle a une saveur unique. Elle marque une étape importante dans mon chemin artistique, un retour aux sources empreint d’émotions et de symbolisme. C'est un moment privilégié pour moi, où je peux à la fois célébrer mon ancrage dans ma culture d'origine source de mon inspiration et l'évolution de mon regard artistique.