Après avoir sillonné le monde, « Le miracle du Saint Inconnu du réalisateur marocain Alaa Eddine Aljem est sorti en France en ce début d’année. En attendant la sortie nationale qui ne saurait tarder, rencontre avec un réalisateur subtil et intelligent, amoureux de la contemplation et de l’humour, dont le film avait séduit la Semaine de la Citrique à Cannes en mai dernier.
e-taqafa : Comment on se sent quand son premier film est sélectionné à Cannes ?
Alaa Eddine Aljem : C’est surréaliste. J’ai essayé d’y penser. Je me rends compte que comme auteur et réalisateur, on est très seuls au début. Ça commence dans notre tête, on s’installe à un café, on écrit. Au début, c’est fragile et il n’y a que nous qui le portons. Et ensuite, on le partage avec d’autres personnes. Convaincre des gens de mettre de l’argent. Faire la cour, les séduire pour croire au projet. Une fois que c’est fait, on passe notre temps à les remercier et nous personne ne nous remercie. Sauf dans des moments comme cela. Ce sont des vrais moments de remerciements.
e-taqafa : Votre film se démarque de la comédie populaire marocaine car c'est une comédie subtile, un comique de situation, pas de bavardage, presque pas de dialogues. Comment avez-vous travaillé cette dimension comique ?
Alaa Eddine Aljem : J’aime le cinéma à la limite du contemplatif. On retrouve cela dans mes courts métrages, surtout le dernier. On est beaucoup dans la photographie. J’aime bien laisser l’œil se balader dans un cadre. On passe beaucoup de temps à faire un cadre et j’aime bien savoir que le public prend le temps de le regarder. Les lenteurs, les répétitions font partie de moi et de mon cinéma. Ça ne changera pas je pense. Mais il fallait que j’ouvre plus au public. D’où la dimension comique. C’était mon intention de départ. J’adore l’humour des Frères Cohen. Et les silences. Dans le cinéma marocain, on parle beaucoup. On peut dire beaucoup avec une succession de plans, quelques regards, sans forcément imposer le dialogue. C’est la particularité du cinéma. Raconter avec l’image.
e-taqafa : D’où est venue l’idée de raconter l’histoire d’un saint inconnu ?
Alaa Eddine Aljem : Il y a beaucoup de choses. Cela vient probablement de l’enfance. J’ai des images, petit, d’espaces comme cela, dans le sud. Des constructions blanches au milieu de nulle part. J’ai souvent demandé ce que c’était, je ne comprenais pas. Une fois en repérage, j’ai demandé à un homme assis à côté d’un saint, ce que c’était. Il m’a répondu que c’était un endroit sacré, respecté de tous mais il n’a pas su me dire comment il s’appelait, qui s’était et surtout depuis combien de temps c’est là. Des amis algériens m’ont raconté qu’il y avait beaucoup d’histoires comme cela chez eux aussi. Des mausolées bâtis sur des chiens ou des animaux décédés, que l’on vénère sans raison. Je trouvais cela très drôle.
e-taqafa : Pourquoi avoir construit le film en duos ?
Alaa Eddine Aljem : C’est venu intuitivement. Dans cet humour là, où cela se base sur des situations, sur des actions-réactions, j’avais besoin de duos pour avoir des regards, des postures, des interactions tout simplement, qui soient autres qu’un personnage qui traverse une action. Ici les personnages sont accompagnés quelque part et réagissent... Ça crée aussi des polarités, il y en a toujours un qui est le positif ou le négatif et cela change à chaque fois. C’était amusant à travailler et à caster aussi…
e-taqafa : En parlant de casting, il est exclusivement masculin…
Alaa Eddine Aljem : Je trouvais que les femmes ou les jeunes femmes ramenaient une certaine douceur et une certaine logique alors que je raconte un village complètement illogique et absurde. Je trouve que les femmes sont plus raisonnables et logiques que les hommes et paradoxalement je trouvais que ce monde sec et brut était un monde d’hommes. C’est une micro-société d’une société patriarcale. Et c’est un monde fou donc un monde d’hommes !