Pour Amine Asselman, le zellige est un champ de création contemporaine qui constitue le pilier de sa démarche artistique. À travers une recherche minutieuse et l’exploration de plusieurs compositions géométriques, l’artiste conçoit une structure musicale en mosaïques.
Rencontre avec l’artiste
e-taqafa : Que représente le zellige pour vous ?
Amine Asselman : Dès le premier moment où j'ai décidé de l'aborder il y a dix ans, le zellige signifiait pour moi, et signifie encore, une sorte de puzzle. Un jeu géométrique plein de connotations qui ont un rapport direct avec mon identité et avec le territoire où j'ai grandi.
e-taqafa : Quelle est votre démarche artistique ?
Amine Asselman : Je travaille à cheval entre l’art et le design, entre l’artistique et le fonctionnel. Non seulement je me sers des méthodes du design pour réaliser mes projets artistiques, mais je travaille aussi dans l’autre sens en utilisant la démarche artistique pour développer mes projets de design. Le zellige représente le pilier de ma démarche artistique. D’ailleurs dans ma thèse doctorale où j’analyse l’influence du zellige dans la création contemporaine entre l’Espagne et le Maroc, j’ai aussi développé ma propre méthode pour générer une infinité de figures géométriques que j’utilise pour créer des compositions inédites qui par la suite donnent naissance à mes créations.
e-taqafa : Quelle est la particularité de l’exposition « Du Zellige à l’infini » ?
Amine Asselman : C'est une nouvelle vision sur le zellige, un élément si présent dans notre culture qui, parfois, peut être mal utilisé dans l'architecture contemporaine. A travers cette exposition je veux montrer l'infinité du zellige, non seulement géométrique mais aussi en tant que champ de création contemporaine.
e-taqafa : Le choix d’une forme géométrique a un sens particulier ?
Amine Asselman : Du côté pratique, toutes les formes sont choisies de façon à ce qu'elles puissent être découpées quand elles sont en argile pour en faire des zelliges. Quand je pense à une forme, je pense toujours à la réalisation, aux contraintes techniques de la céramique.
Conceptuellement parlant j'essaie de trouver un sens à chaque forme que je crée. Il y a des formes auxquelles j'attribue des caractéristiques purement sonores et musicales en me basant sur la représentation des fréquences et d'autres qui me mènent vers des associations figuratives et narratives.
e-taqafa : Comment l’architecture influence votre démarche artistique ?
Amine Asselman : Déjà le zellige est un élément ornemental qui ne peut être apprécié que dans un espace architectural concret. Toutes mes créations, dessins inclus, sont pensées pour être réalisées à l’échelle monumentale. Je peux dire que dans cette exposition la plupart des œuvres sont des plans et des maquettes de futures grandes interventions.
e-taqafa : Pourquoi la représentation de la porte ?
Amine Asselman : C'est la porte de la Méditerranée, une mer d'échange et de coexistence mais aussi une mer de conflits et d'inégalités. Le zellige de cette porte montre la coexistence entre les différents spécimens à travers la métamorphose des poissons. La représentation des grands bateaux en zellige est une manière de parler des échanges économiques et culturels alors que les petits bateaux suggèrent la problématique de l'immigration et de l'inégalité. Finalement, et avec une tonalité chromatique plus inquiétante, la représentation de la contamination et du changement climatique viennent s'installer dans cette bande de mosaïques sous forme de méduses, ces petits gélatineux qui envahissent nos plages depuis quelques années, alertant sur notre comportement avec la nature.
e-taqafa : Quelle est la particularité de la série « Métamorphosis » ?
Amine Asselman : C'est un jeu mathématique par lequel j'essaie d'accéder à l'infini. C'est une recherche de toutes les combinaisons possibles pour assembler des figures géométriques de la même famille. Métamorphosis c'est aussi une façon de casser la symétrie du zellige tout en gardant sa structure et ses bases. C'est ajouter une ligne temporelle dans la lecture du zellige. Finalement, c'est la base de mon travail de recherche et qui m'a mené vers le projet MUSAIC au moment où j'ai trouvé le lien entre la musique et mes géométries.
e-taqafa : Vous avez utilisé la musique dans quel but ?
Amine Asselman : Si nous observons de près l’architecture andalouse dans la péninsule ibérique et au Maghreb, nous pouvons ressentir dans les compositions géométriques du zellige une certaine musicalité et un certain rythme qui, avec la calligraphie sculptée dans le plâtre des plafonds et des murs, nous renvoient à la musique andalouse raffinée et son union avec la poésie arabe classique, comme si les artisans tentaient d'immortaliser la musique de leur époque. MUSAIC c’est un langage que j’ai créé pour pouvoir traduire visuellement, sous forme de zellige et de carrelages, les notes musicales de la gamme chromatique ainsi que les partitions musicales. L'idée est de transformer la structure musicale en mosaïques géométriques. Pour cela, chaque note se voit attribuer une figure géométrique, en fonction de la longueur d'onde de ses fréquences, qui sera ensuite utilisée pour créer des compositions complexes et des mosaïques qui représentent des portraits géométriques de chansons et de compositions musicales.
e-taqafa : Quels sont les messages que vos créations transmettent ?
Amine Asselman : Coexistence et transmission.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Amine Asselman : Cette exposition est ma première exposition individuelle au Maroc. Pour moi c'est l'occasion de montrer le travail de ces dix dernières années que j'ai commencé tout d'abord au Maroc et que j'ai développé plus tard en Espagne. Je n'aurais pas imaginé meilleur espace que celui de la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l'Etranger pour ce beau retour au Maroc.
Propos recueillis par Fatiha Amellouk pour e-taqafa