Par un geste pictural critique, l’artiste représente une femme qui assume sereinement sa beauté ou sa sensualité, revendique sa liberté et refuse d’être la femme objet car son corps lui appartient. L’artiste exclut d’emblée toute érotisation, loin de toute dimension scopique. Par une approche esthétique, elle interroge les normes de la représentation du corps féminin et des discours qui en découlent. Pour l’artiste, la représentation poétique du corps féminin est inhérente à ses revendications sociales.
e-taqafa : Des montagnes du Rif à Nancy en France, quelles sont les grandes étapes qui ont marqué ce trajet ?
Asmae El Ouariachi : J’ai quitté le Rif avec mes parents pour Oujda, je ne parlais pas l’arabe. Isolée, j’ai commencé à m’exprimer par les gestes et le dessin…A 15 ans, mon professeur d’art plastique m’a proposé de m’orienter vers la filière de dessin. Mon père a refusé. Il a fallu l’intervention musclée de ma grand-mère pour que je puisse suivre des études en art plastique et être professeur d’art plastique et artiste peintre en devenir…En 2005, invitée par la ville de Lille pour une exposition, j’ai fait la connaissance de Rahim Faiq avec qui j’ai exposé et collaboré une seconde fois. Ce qui a été à l’origine de mon installation à Nancy, pour une résidence artistique puis suite à la naissance de la plus merveilleuse création de ma vie, ma fille Sophia. Voilà comment, j’ai posé mes bagages à Nancy et envisagé une nouvelle vie en tant que marocaine du monde.
e-taqafa : Être une femme marocaine résidant en France, est-ce un fait qui a déterminé votre travail artistique ?
Asmae El Ouariachi : Il est certain que mon installation en France a modifié complètement mon regard artistique. Au Maroc, les thèmes qui m’inspiraient, trouvaient leurs sources dans mes origines culturelles et mon environnement proche. En France, j’ai bousculé ma façon de penser. Certes, la rencontre avec des peintres importants a marqué ma façon de peindre, de créer, de livrer des secrets au plus profond de mon intimité…La société et tout particulièrement la condition de la femme sont devenues mon leitmotiv. Voir une femme artiste marocaine et musulmane créer des toiles et les exposer dans les salons internationaux de l’art n’était pas habituel…Chose faite !
e-taqafa : Dans quel style artistique, inscrivez-vous votre création ?
Asmae El Ouariachi : Sincèrement, il me semble difficile de parler d’un style artistique, car mon travail évolue de jour en jour. Certes le regard académique place mes œuvres dans le cadre de l’art contemporain. La figuration anti-normes traditionnelles guide mes choix. Néanmoins, je fais partie de cette génération qui laisse libre cours à son imaginaire pour construire geste par geste une symphonie de couleurs et de formes pour aboutir à une réalisation engagée. Mon cheminement artistique et conceptuel se saisit toujours de mon passé et des bouleversements que j’ai connus. L’exil volontaire a contribué également à la construction de nouveaux styles à explorer…
e-taqafa : La Femme est au centre de votre création, pourquoi ce choix ?
Asmae El Ouariachi : En tant que femme et ayant pris conscience des conditions de vie des femmes et des inégalités sociales, j’ai décidé de mettre la femme au cœur de mes créations. Le retour sur des images de mon enfance, vécue au couffin d’une famille de paysans rifains, dans une ferme où la solitude meublait mon quotidien, m’ont amené à me poser sans cesse une question primordiale : pourquoi la femme ne peut pas être considérée à sa juste valeur ? Mon travail essaie de démontrer que la femme a évolué dans tous les domaines et qu’elle ne pourra plus être « derrière chaque homme célèbre… » mais plutôt à côté de lui pour prendre des responsabilités…Je crois beaucoup à une prise de conscience généralisée et un changement des mentalités dans les décennies à venir.
e-taqafa : Le corps féminin est représenté entièrement couvert ou nu, quel message derrière cette approche ?
Asmae El Ouariachi : La femme peut être victime de pressions culturelles ou sociales, mais elle peut aussi soulever des montagnes pour exiger d’être l’égale de l’homme. Aragon disait que « la femme est l’avenir de l’homme ». En effet, elle est l’espoir de l’humanité… Derrière le tissu « Haîk », il y’a un être humain avec ses forces et ses faiblesses…Nue, la femme est désirée comme un objet. Mais ce que je veux exprimer par mon travail artistique c’est que par cette nudité elle est maîtresse de son corps, que je suis maîtresse de mon corps. C’est une expression artistique rêvée pour aboutir à une liberté symbolique. L’approche est liée à l’évolution de mes créations. J’ose aujourd’hui bousculer les traditions en mettant en scène des corps nus, certes du soft mais mon espoir est qu’un jour la femme soit vue et appréciée comme un être humain libre fier de l’acquisition de ses droits.
e-taqafa : L’installation vous permet de créer différemment ?
Asmae El Ouariachi : C’est une nouvelle démarche artistique qui me permet de m’exprimer en laissant le visiteur rêver et voyager à travers ce mode suggérant un songe parfait. C’est une première expérience. J’ai utilisé la peau des vaches pour évoquer la mémoire de notre passé. J’ai utilisé une technique originale me permettant de créer des volumes s’inspirant des silhouettes féminines qui rappellent la femme de l’oriental marocain en hommage à ma grand-mère qui m’a permis de devenir peintre…c’est aussi une autre forme de mettre la femme au centre de nos débats de société. L’installation deviendra -t-elle, une nouvelle forme d’expression pour moi ? Certainement, car c’est un ensemble qui permet une lecture globale.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Asmae El Ouariachi : Exposer à l’Espace Rivages de la Fondation Hassan II, est un symbole, Ô combien important pour moi. Cette Galerie ouvre ses portes aux artistes marocains du monde afin de les valoriser et en même temps les faire connaître auprès du public marocain et sur le sol de notre pays bien aimé. Une belle rencontre a eu lieu avec l’équipe de l’Espace Rivages. Une certaine complicité artistique au féminin a déclenché l’idée d’une exposition au printemps. Je suis très heureuse de faire partie de ses artistes et je tiens à remercier la Fondation Hassan II. J’espère de tout mon cœur que cet évènement puisse être une réussite permettant au public r’bati de découvrir le travail d’une artiste femme, vivant à l’étranger.
Fatiha Amellouk pour e-taqafa.ma