L’artiste dispose au gré de son inspiration les mots, les signes, les symboles, les formes et les couleurs. Tout un ensemble développe et accomplit progressivement l’œuvre. Sa création est une croissance, une éclosion, une coulée. Il s’abandonne avec lucidité dans une démarche qui est à la fois tension et réflexion. Il est aux prises d’un travail de construction dans une ardeur fertile.
e-taqafa : «Traces de lumière » pourquoi ce titre ?
Abdelkader Meskar : En tant qu'artiste plasticien, je suis convaincu que sans lumière rien n'est visible, ni formes, ni couleurs, ni beauté, ni laideur. De ce fait, toute action picturale, étalage de couleurs, collages de formes … implique l'existence d'une lumière révélatrice. La lumière est loin d'être un outil de modelage du clair-obscur uniquement, elle transcende le cadre pictural pour s'associer à celui du savoir. La lumière est savoir.
e-taqafa : Dans quel style artistique, inscrirez- vous votre démarche artistique ?
Abdelkader Meskar : Abstraite ? symboliste ? je n'accorde pas beaucoup d'importance aux classifications, parce qu’un tel souci peut détourner l'acte créateur vers des sentiers déjà prospectés et catégorisés. Autrement dit, ma démarche prône la liberté de l'acte pictural pour s'aventurer dans l’espace, les formes, les couleurs et pour s'émerveiller à chaque fois devant les découvertes tel un plongeur qui découvre des perles dans les profondeurs de l'océan.
e-taqafa : Que représente le signe pour vous ?
Abdelkader Meskar : Depuis mon enfance, j’ai un rapport fort avec les signes, les croix par exemple, sont encore très présentes, ce sont les tatouages portés par ma mère et qui donnaient à son visage un charme magique. Inconsciemment, j'ai commencé une recherche liée à la magie de tout ce qui est symbole, signe, geste, objet…cette recherche concerne aussi la perception qui éveille une idée différente de l’aspect visible.
e-taqafa : L’œil est prédominant dans vos créations, pourquoi ?
Abdelkader Meskar : L'œil est l'organe de la vue et de la perception du monde et de la connaissance humaine. Il observe et analyse le monde. Il est le symbole de la perception intellectuelle et la fenêtre de l'âme. J’aimerais rappeler aussi ces trois opérations : voir : opération de l'œil, observer : opération de l'esprit et contempler : opération de l'âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l'art.
e-taqafa : Le livre comme support de création, pourquoi ce choix ?
Abdelkader Meskar : l’intégration comme support est la meilleure façon pour rendre hommage et donner une autre vie au livre. Ce livre qui jaillit dans ma nouvelle série de toiles que j'expose à l’Espace Rivages, s'empare de mes formes et de mes couleurs et devient un lexique plastique pourchassant l'ignorance voire l'oubli et éclairant les recoins les plus enfouis dans ma mémoire. Le livre continuera à être une extension de la mémoire et de l'imaginaire, reliant le passé avec le futur.
e-taqafa : Pourquoi le bleu?
Abdelkader Meskar : Le bleu est une couleur divine depuis la nuit des temps. Dans le référent commun, les dieux vivent dans les cieux. Le dieu égyptien Amon a la peau bleue afin de pouvoir voler dans les cieux. Certes, ce n'est pas un hasard, le bleu est ma couleur préférée. Elle m’inspire la sérénité, le calme intérieur, le rêve et la découverte. Le bleu est associé au cinquième chakra, celui de la gorge et donc de l’expression, de la communication, de la vérité et de la créativité.
e-taqafa : Le format en cercle est adopté selon le thème du tableau ?
Abdelkader Meskar : Non pas tout le temps ! Le format peut être un carré, un rectangle ou un cercle. Ce dernier fait partie des symboles fondamentaux. C’est une figure très simple mais chargée de significations. Des fois, le cercle peut être plus adapté à une composition et à un sujet qu'un autre format. Sur un plan métaphysique et spirituel, le cercle évoque l'unité, l'harmonie, l’infini, le domaine de l'esprit, du naturel et de la perfection. Il peut également représenter le cosmos, il est à la fois début et fin.
e-taqafa : Dans certains tableaux, vous écrivez directement sur la toile en arabe, avez-vous un message à transmettre par écrit ?
Abdelkader Meskar : Effectivement, des fois et spontanément ou non, j'intègre des lettres, des mots en calligraphie arabe qui se transforment en motifs graphiques, pour effacer les frontières entre l’art et la vie de tous les jours, ce qui peut pousser le spectateur à réfléchir sur la façon dont il reçoit le travail artistique et pour créer un lien et un croisement entre la littérature et la peinture car la peinture et la poésie sont semblables. Elles cherchent à traduire une impression du réel ou à voir autrement ce qui est visible et même rendre visible l'invisible.
e-taqafa : Vous créez sur livre, sur panneau, sur bois ou sur carton ou en optant pour le collage, quelle est la différence entre ces différentes techniques ?
Abdelkader Meskar : En art chaque support à des critères et des caractéristiques propres. Nous avons les supports souples tels que le papier et la toile ou ceux qui sont rigides tels que le bois et le carton. Chaque support a ses avantages et ses inconvénients...par exemple le bois est un support utilisé depuis l’Antiquité par les Grecs, les Romains et les Egyptiens. Le mot « tableau » vient d’ailleurs de tabula qui signifie « table, planche ». Par ailleurs, le collage permet à travers les éléments collés d’introduire de nouvelles formes et couleurs, ce qui suggère un nouvel espace enrichissant pour ma recherche plastique.
e-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l’Espace Rivages ?
Abdelkader Meskar : l’Espace Rivages est un lieu d’échanges et de communication entre la communauté des Marocains résidant à l'étranger et leur pays natal. Depuis son inauguration, il a permis à plusieurs artistes peintres marocains de présenter leurs créations aux Marocains de notre pays et de nouer le dialogue entre eux. Pour moi, c'est un événement, un rendez-vous et un contact direct avec beaucoup d'amis, d’artistes, de collectionneurs et personnes qui admirent mon travail et qui me suivent sur les réseaux sociaux. Chapeau ! Et un grand merci à l'équipe qui veille à la réussite de ces rencontres et qui a démontré avec le temps ses compétences de haut niveau et sa patience en accompagnant les artistes pour la réussite du projet.
Propos recueillis par Fatiha Amellouk