Artiste peintre et acousticien, Hamid Bouhioui diversifie les procédés picturaux pour représenter la femme. Sous son pinceau le féminin est entouré d’un halo de déférence.
Rencontre
E-taqafa : Comment avez-vous découvert l'artiste en vous ?
Hamid Bouhioui : Depuis l’enfance j’ai toujours éprouvé un grand plaisir à dessiner. Et je n’ai jamais arrêté de pratiquer cette passion même lorsque j’étais étudiant. Et dès que j’ai pu me payer des tubes de peinture et des toiles, je me suis mis à peindre. J’étais bon en dessin mais la peinture était difficile à apprendre et il m’est arrivé de jeter des toiles à plusieurs reprises. Après mon doctorat, je me suis inscrit à l’école municipale des beaux- arts de Compiègne où j’ai passé deux années à perfectionner mes connaissances pratiques.
E-taqafa : Le titre " Shifting Shapes» ou "formes changeantes " trouve-t-il son sens dans certains aspects de cette exposition?
Hamid Bouhioui : Oui effectivement, pendant que je préparais les œuvres pour cette exposition, j’ai eu le sentiment d’être dans une sorte de bifurcation. Je ne sais pas si cela sera visible sur mes œuvres, mais ce qui est sûr est que quelque chose était en train de changer dans mon approche picturale. Un des phénomènes les plus étranges en peinture est l’impossibilité de décrire certains sentiments avec des mots. Ce sentiment de changement en est un.
E-taqafa : Pourquoi le choix de l'acrylique dans certains tableaux ?
Hamid Bouhioui : Depuis le peintre flamand Jan van Eyck (14ème siècle) et peut être bien avant, les peintres ont utilisé la peinture à l’huile car elle était la seule à offrir une qualité supérieure de couleurs et de tons. Mais la technologie du 20ème siècle a permis l’invention de l’acrylique qui est encore plus avantageuse que l’huile parce qu’elle offre une très bonne qualité de couleurs et de tons tout en évitant les substances chimiques dangereuses vue qu’elle est soluble dans l’eau. En plus, la peinture à l’acrylique sèche en quelques minutes seulement. Je me souviens, quand j’utilisais la peinture à l’huile, certains de mes tableaux mettaient plusieurs semaines à sécher. C’est donc pour ces raisons que j’ai opté pour l’acrylique sans le moindre regret.
E-taqafa : L'usage des monotypes annonce un passage vers la gravure ?
Hamid Bouhioui : Peut-être ! En réalité j’ai déjà pratiqué la gravure, l’eau forte, le monotype et la lithographie tout en continuant à peindre. Mais comme je l’ai précisé dans le titre de cette exposition je suis probablement dans une période de transition. Je suis assez aventurier dans l’âme et je n’ai jamais peur du changement. On verra donc quelle tournure mes œuvres vont prendre dans quelques mois ou à ma prochaine exposition !
E-taqafa : L'exposition est particulière, elle regroupe plusieurs portraits de femmes, qui sont ces femmes?
Hamid Bouhioui : On me pose souvent cette question car je ne peins que des sujets féminins. Et à force de me la poser moi-même, j’ai fini par trouver une des raisons probables : J’ai perdu mes parents quand j’étais très jeune et j’ai été essentiellement élevé par mes huit sœurs. J’ai donc passé la quasi-totalité de ma jeunesse entouré des visages bienveillants et protecteurs de mes sœurs. Et plus tard, lorsque je suis allé étudier en France et ensuite au Canada, j’ai spontanément cherché de la compagnie féminine avec laquelle je me suis toujours senti plus à l’aise. Je n’ai presque jamais éprouvé le besoin de peindre des hommes. Et aujourd’hui, je ne me pose plus ces questions. Je me laisse guider par mon instinct sans trop analyser mon comportement.
E-taqafa : Pourquoi le recours à l'écriture dans les tableaux ?
Hamid Bouhioui : Gibran Khalil Gibran a dit un jour que l’artiste est comme un arbre et que ses fruits doivent être consommés, sinon ils pourrissent ! L’artiste est ainsi comme cet arbre, il éprouve le besoin de partager ses sentiments au lieu de les garder pour lui. Personnellement, j’exprime ce dont je ne peux pas parler par la peinture et ce dont je peux parler par l’écriture. J’ai publié des dizaines de textes et j’éprouve toujours, en plus de peindre, le besoin d’écrire. En fait, je ne me pose pas de barrières et je me permets souvent de mêler les mots aux formes dans mes œuvres.
E-taqafa : Qu'en est-il de vos créations sonores?
Hamid Bouhioui : Si l’art n’offre pas la liberté, quelle autre activité peut le faire ? je m’exprime librement sans me poser de questions. Comme je suis de formation acousticien, je vois des formes dans le son et je perçois des sons dans les formes. Et pour exprimer ce sentiment étrange, j’ai dû monter à deux reprises des expositions d’art sonore. Cela m’a permis d’exprimer des sentiments particuliers que je ne pouvais ni peindre ni décrire avec des mots. N’est-ce pas justement cela la fonction de l’art ?
E-taqafa : Que représente pour vous cette exposition à l'Espace Rivages?
Hamid Bouhioui : En plus du fait que l’Espace Rivages soit une belle salle d’exposition, cette exposition est une bonne opportunité pour moi car elle aura lieu après plusieurs expositions collectives et deux expositions individuelles d’art sonore. C’est donc ma première exposition individuelle de peinture depuis un bon moment. En plus, je suis très heureux d’exposer au Maroc et de retrouver le public de Rabat car ma dernière exposition de peinture avait eu lieu à Montréal au Canada. Je profite de cette occasion pour remercier les gens qui ont rendu cette exposition possible, et en particulier l’équipe de l’Espace Rivages pour leur accueil, leur professionnalisme et leur sympathie.